J.-H. Rosny aîné et Marcel Proust
Fin 2013, deux revues, autour et sur Marcel Proust, furent mises en vente :
Le Monde a publié le hors-série n°19H de la collection Une vie, une œuvre, intitulé "Marcel Proust : A l'ombre de l'imaginaire".
Le Figaro a édité le hors-série n°81H : "Marcel Proust, le numéro anniversaire - Du Côté de chez Swann à 100 ans".
Les contenus, tout en étant assez proches, se complètent agréablement.
En plus de proposer un tour d'horizon proustien très attractif, ces numéros reprennent aussi quelques anecdotes qui permettent de se remémorer, par exemple, ce duel entre Marcel Proust et Jean Lorrain, le 6 février 1897 décrit en détail par Irina de Chikoff dans "Le choix des armes" [HS Le Figaro].
Jean-Paul Enthoven indique dans "Bon anniversaire, cher Marcel" [HS Le Monde] que le manuscrit de "Du côté de chez Swann" est refusé par les éditions Olendorff ("je ne comprends pas l'intérêt qu'il peut y avoir à lire trente pages sur la façon dont un Monsieur se retourne dans son lit avant de s'endormir"), par Fasquelle ("ces phrases fuyant de partout [comme] un lavabo défectueux et trop rempli"), par la N.R.F. (André Gide "le feuillette donc, et l'écarte").
Dans une Lettre autographe de 3 pages adressée à J. H. Rosny aîné (non datée, mais, a priori, de début novembre 1919)
qui "n’ignorait pas que Rosny aîné avait fort apprécié Swann, et surtout qu’il était, avec Léon Daudet, son meilleur appui au sein du jury Goncourt [...] le remercie ici d’une lettre encourageante, et ajoute ces paroles éminemment stratégiques" :« Je ne sais pas si j’aurai le prix, je ne sais même pas quand on ne le décerne [sic], mais je suis bien heureux de toutes façons qu’il existe, car il m’aura permis (que le “lauréat” doive être moi ou un autre) de connaître votre douce bonté, la chaleur avec laquelle vous vous intéressez à ceux dont vous aimez les livres... ». Le post-scriptum est tout aussi stratégique :
Mon ami Paul Morand m’a demandé si je voulais que son père parlât à Monsieur Hennique et d’autre part je sais que mon amie Madame de Clermont-Tonnerre, l’est de Monsieur Geffroy. Mais j’ai refusé les recommandations, trouvant mieux que les académiciens jugent seulement sur le livre, sans influence extérieure... ».Toutes mes excuses à l'auteur de ces lignes, mais je ne retrouve plus les références dans mes notes prises il y a bien longtemps, au moment de la mise en vente de cette L.A.S...
:
"En 1918, Civilisation, par Georges Duhamel (sous la signature de Thévenin) suscita peu de discussions.
Il en fut autrement pour le livre fameux de Marcel Proust A L'ombre des jeunes filles en fleur. Il rencontra: une opposition assez vive chez nous, mais surtout, il excita de violentes polémiques et des articles péjoratifs dans la presse parisienne. Le livre concurrent, les Croix de Bois, livre équilibré, dont on avait écrit: « il est tout en muscles ; il n'a rien de trop », était le grand favori des chroniqueurs. Un éditeur habile le lançait avec fracas. Le livre de Proust est au rebours un œuvre où les détails fourmillent, où chaque page est remplie d'observations ingénieuses, d'analyses fines, aiguës, originales. L'épaisseur des pages, un texte serré, dense, sans paragraphes, ajoutaient à cette impression de « longueur » que les Français détestent ; certaines phrases, entrecoupées de parenthèses, semblaient obscures.
Le livre fut harcelé par les uns, porté aux nues par les autres, — mais il y avait plus de critiques que de louanges. Enfin, Proust avait dépassé 45 ans, ce dont on fit grand bruit, comme si ce n'avait pas été le cas de Nau, de Frapié, comme si Barbusse n'avait pas eu 42 ans quand il publia le Feu !...
Aussi fûmes-nous copieusement injuriés. Ce fut pire qu'avec Charles-Louis Philippe ! On nous enterra dans le champ des navets."
"Je l'admire énergiquement, j'ai bataillé comme un diable pour lui faire obtenir le prix Goncourt. Il le sait, il m'a remercié par des lettres de huit pages — lettres extraordinaires par les incidentes, les méandres, par des qualités littéraires presque égales à celles de ses livres."
Revenons au Prix Goncourt 1919 : si l'ouvrage de Marcel Proust fut soutenu par J.-H. Rosny aîné, il faut aussi préciser que Léon Daudet a mis tout son poids dans la balance pour qu'il obtienne ce prix Goncourt. Ce qui en a étonné plus d'un à l'époque !
D'ailleurs le "Lexique" du Hors-série
"Léon Daudet, grand capitaine des Lettres, était dans les meilleures dispositions à l'endroit de l'ami de son frères. De plus, une plume illustre de L'Action française, antisémite et bientôt célinien notoire, bataillant en faveur d'un juif féru d'imparfait du subjonctif et autrefois dreyfusard, n'était-ce pas une configuration inédite, efficace, prometteuse ?"
On peut aussi lire le commentaire suivant dans "Proust et ses lecteur" de Charles Dantzig
Carlo Rim note dans son Journal : "lorsque Proust reçoit le prix Goncourt pour A l'ombre des jeunes filles en fleurs (1919) : "Proust [...] est un pédé qui couche avec son chauffeur." Son père lui avait apporté le livre en pestant contre les manœuvres du juré Léon Daudet qui avait fait perdre Les Croix de bois de Dorgelès, "une insulte aux poilus". Notre auteur de bande dessinée avait oublié que Proust avait eu son Goncourt grâce à l'appui de cet homme de l'extrême droite du moment, qui plus est un homophobe forcené, mais quand on a un frère qui couche avec un auteur, même juif, adieu Jeanne d'Arc et les prout ma chère ! Il arrive que la vie fasse oublier la manie."
Dans "Premier roman"
apporte les éléments suivants sur le roman "Du côté de chez Swann" :"Lucien Daudet est le premier à faire paraître une critique. Le frère cadet de Léon ne tarit pas d'éloge, mais il ne s'agit nullement de complaisance envers un ami : Lucien a reconnu en Proust un "classique". Le jeune Jean Cocteau n'a pas dissimulé non plus son enthousiasme à la lecture de Swann."
"De tout temps, il eut des admirations vives et des amitiés tenaces. Il a célébré Drumont, son initiateur à la polémique, il a chanté le dos de Mistral, s'est emballé pour Wagner, enamouré de Shakespeare; il a voué un culte à Maurras, été charmant pour Geffroy, pour Schwob, pour Proust, pour moi-même, pour vingt autres... Il a beaucoup de défauts, parmi lesquels un jugement trop hâtif, trop péremptoire, d'effrayants partis pris, mais il est vivant et puissant."
6 voix pour Marcel Proust : Léon Daudet, Gustave Geffroy, J.-H. Rosny aîné, J.-H. Rosny Jeune, Henry Céard et Elémir Bourges.
4 voix pour Roland Dorgelès : Léon Hennique, Jean Ajalbert, Emile Bergerat et Lucien Descaves, qui commente :
"M. Proust a le prix, M. Dorgelès l’originalité du talent et la jeunesse. On ne peut pas tout avoir."
œuvre
une "vertigineuse plongée dans l'abîme du temps jusqu'à l'ère des grands reptiles"
Une réponse plutôt neutre, mais en rien défavorable, de la part du vieux Maître qui avait à l'époque de cette enquête 70 ans.
En 1921, en réponse à la question "Parmi les ouvrages présentés aux différents prix Goncourt, quelle est l'œuvre qui a fait sur vous la plus forte impression — et pourquoi ?", J.-H. Rosny aîné écrivit :
"Votre question m'embarrasse. Je n'aime pas les « classements ». Je me borne à vous dire que le livre qui m'a le plus charmé, par sa fraîcheur, par sa jeunesse, par son ton, est le Grand Meaulnes d'Alain Fournier. (Au reste, Fournier n'a pas eu le prix Goncourt). L'œuvre qui m'a le plus étonné, par la multitude de ses qualités originales, c'est l'admirable A la recherche du Temps perdu, de Marcel Proust."
J.-H. Rosny aîné a publié plusieurs articles et chroniques sur Marcel Proust, dont :
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Repris en volume sous le titre :
Aucun texte, sur
écrit par J.-H. Rosny Jeune, n'a été retrouvé à ce jour.
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