J.-H. Rosny aîné et Jean de La Hire
La série de B.D. "La Brigade chimérique" est dédiée à "J.H. Rosny, Wells, Jean De La Hire, Zamiatine, Jean Ray, Messac, Fritz Lang, Papini et tous les ancien de l’Hypermonde". Jean De La Hire, de son véritable nom Adolphe d'Espie, et J.-H. Rosny aîné se sont-ils connus ?
- Adolphe d'Espie est né en 1878, décédé en 1956.
- J.-H. Rosny aîné est né en 1856, décédé en 1940.
Ils habitaient à la même période sur Paris, fréquentaient les mêmes cercles, les même personnalités. Tous deux connaissaient, par exemple, Jean de Tinan et Georges Rodenbach.
Jean de Tinan, dont il est question sur ce Blog pour son roman "Aimienne ou le détournement de mineure" (1899), a eu une liaison avec Irmine Boex, la première fille de J.-H. Rosny aîné, alors qu'elle avait à peine 15 ans (ce qui est le sujet du roman sus-cité d'ailleurs).
Edmond de Goncourt en parle dans son "Journal", tout comme Joseph-Henri dans le sien.
Suite au décès de Jean de Tinan, Adolphe d'Espie a écrit l'article "Mort de Jean de Tinan - Avec d'inutiles réflexions banales", signé Adolphe de La Hire, dans L'Aube Méridionale (à lire sur GALLICA)
J.-H. Rosny aîné voyait régulièrement Georges Rodenbach au grenier des Goncourt, ou lors de dîners.
Jules Renard parle dans son "Journal" d'un repas "chez Léon Daudet en compagnie de Rosny Aîné, Eugène Carrière, Gustave Geffroy, M. et Mme Gustave Toudouze, M. et Mme Georges Rodenbach et Edmond de Goncourt" (5 mars 1891).
Dans la maison de Sèvres où Léon Cladel (1) a vécu les dernières années de sa vie : "Chaque dimanche, c'était un défilé ininterrompu d'amis : Rosny, Margueritte, Morel, Darzens, Retté, Rodenbach, Camille Lemonnier, Georges Renard, Paul Arène, Rollinat, Benoît Malon, d'Echerac, Lapauze, E. Reclus, Delon, Hector France, Clovis Hugues, Maurice Guillemot, Poirson, Proteau, Veidaux, bien d'autres que j'oublie étaient des familiers de la chère maison. Rodin et Dalou y venaient également." (2)
Adolphe d'Espie parle du décès de Georges Rodenbach dans un article intitulé sobrement "Rodenbach" et signé Jean de La Hire. Il fut publié dans L'Aube Méridionale (à lire sur GALLICA).
Livrenblog précise que c'est à cette occasion que fut utilisé pour la première fois le pseudonyme Jean de La Hire par Adolphe d'Espie.
Etrangement, malgré ces nombreux points communs, il n'existe aucune preuve (trouvée à ce jour) de rencontre ou de correspondance entre les deux hommes qui, pourtant, se connaissaient.
On ne trouve pas Adolphe d'Espie, ni aucun de ses pseudonymes (Edmond Cazal, Jean de La Hire, André Laumière, Arsène Lefort, John Vinegrower, Alexandre Zorka, etc...) dans la correspondance connue de J.-H. Rosny aîné, et il n'y a aucune allusion à un de ces noms dans son "Journal".
A défaut de pouvoir lier directement les hommes, il est néanmoins possible de relier leurs oeuvres : J.-H. Rosny aîné lisait Adolphe d'Espie (aucune preuve de l'inverse pour le moment...), il a même critiqué au moins deux de ses romans.
Lesquelles ? : "La roue fulgurante", Les aventures de Léo Saint-Clair, alias "Le Nyctalope" ? Hélas non, voilà qui va décevoir les amateurs d'anticipations anciennes. Il s'agit de "Maîtresse de Roy" et "La Torera".
Un détail amusant : J.-H. Rosny aîné a utilisé deux autres pseudonymes pour signer ses critiques de romans écrits par Adolphe d'Espie sous le nom de plume Jean de La Hire, à savoir A. Darville et J. de Boriana.
(1) Robert Bernier : "Lorsque, avec Léon Cladel, Rosny, Georges Renard et Henry Fèvre, nous avons lancé, Tabarant et moi, il y a quelques années, le manifeste du Club de l'Art Social [...]" (Robert Bernier "Le socialisme et l'Art" in La Revue socialiste d’avril 1893)
(2) Robert Bernier "Léon Cladel" in La Revue socialiste de janvier 1893
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"Échos", publié sous le pseudonyme A. Darville, dans Le Carillon illustré n°7 (Librairie Borel) de Juillet 1901 :
"Nous avons le plaisir d'annoncer à nos lecteurs la création d'une nouvelle collection dans notre librairie.
Nous avons pensé qu'un format sensiblement plus grand que celui du "Nymphée", avec des caractères plus gros et par suite plus lisibles, serait bien accueilli de notre clientèle. Ce format aura 11 x 19, et conservera l'aspect artistique dont nous n'avons cessé de nous départir.
C'est dans cette collection que paraîtra, en Juillet, Maîtresse de Roy (Chronique galante du XVIIIe siècle), par Jean de La Hire, illustrations à la gravure sur bois, d'après Châtelaine.
A. DARVILLE."
"Maîtresse de Roy" de Jean de la Hire, publié sous le pseudonyme A. Darville, dans Le Carillon illustré n°7 (Librairie Borel) de Juillet 1901 :
"Après s'être révélé, dans le Gil Blas, exquis évocateur des grâces du temps où régnait Mme la marquise de Pompadour, Jean de La Hire a voulu conter l'existence de celle qui lui succéda, et qui, moins heureuse, vit trancher sa vie, non dans le palais des rois de France, mais sur l'échafaud dressé par la Révolution.
Maîtresse de Roy, qui est l'histoire de Mme du Barry, se divise en deux parties. Dans la première, en des mots alertes, frais et fleuris, en des phrases qui sentent doucement le musc et la bergamote, Jean de La Hire conte les aventures d'une belle fille, folle de son corps, à la Cour de Louis XV. Les fringants seigneurs de l'époque, au charme si pervers et parfois si cruel, les Richelieu, les Brissac, les de Sade, aiment, chantent, rient, tuent, s'amusent exagérément, pendant que Voltaire et les encyclopédistes les menacent des vengeances prochaines. D'un geste gracieux et léger, insouciant et parfois un peu canaille, Mme du Barry mène triomphalement la sarabande.
Mais Louis XV meurt, et avec lui les joies du plaisir finissent dans un sanglot. Mme du Barry est exilée... Elle mène, dans un couvent d'abord, puis dans son petit palais de Luciennes, une vie calme, délicieusement mélancolique, bercée par l'amour, le véritable et pur amour, qu'elle connaît enfin, et qui la transporte en une extase de bonheur charmant, journellement renouvelé. Hélas ! le rêve est court, et Mme du Barry se réveille devant le tribunal révolutionnaire pour mourir, le lendemain, sous le couperet de la guillotine...
Toutes les qualités qui ont fait du jeune écrivain, qu'est Jean de La Hire, un des meilleurs et, peut-être, le plus aimé de sa génération, toutes ces qualités se retrouvent dans ce livre de rires et de sang, où la documentation rigoureuse, loin d'étouffer l'intérêt, le ranime au contraire par un adroit arrangement de détails curieux, d'aventures piquantes, de révélations imprévues. Et le roman est écrit dans un style clair, vif, bien français, qui rattache Jean de La Hire à tous ceux dont le souci de la pure tradition nationale ne s'est laissé corrompre, en aucun siècle, par l'influence des snobismes étrangers. C'est à Diderot, à l'abbé Prévost, à Voltaire qu'il faut remonter, pour retrouver la manière dans laquelle Jean de La Hire a écrit son nouveau livre, Maîtresse de Roy, qui ouvrira dignement la série de romans de mœurs du XVIIIe siècle, en préparation.
Le peintre vibrant et délicat qu'est Châtelaine, a orné Maîtresse de Roy de dessins hors-texte, de frontispices et de culs-de-lampe, qui unissent à une connaissance approfondie du XVIIIe siècle, un goût de disposition, une sûreté de facture, une galanterie musquée du sujet, dignes de représenter ces vicomtes et ces marquises que Fragonard et Cosway portraituraient.
A. DARVILLE."
"Bibliographie : La Torera" de Jean de la Hire, publié sous le pseudonyme J. de Boriana, dans Le Carillon illustré n°2 (Librairie Borel) de février 1902 :
"Dans le décor ensoleillé d'une vieille ville espagnole, toute l'intrigue de ce roman se passe au milieu du monde peu connu en France des toréadors. Pourtant, le lecteur ne doit pas s'imaginer que M. Jean de la Hire, l'auteur de la Torera, s'est borné à des descriptions et à des peintures de mœurs.
Le principal personnage est une femme, qui, par une suite d'étranges aventures, est amenée à devenir matador illustre, chef d'une cuadrilla de toréadors. Elle aime cette vie de dangers pour le danger lui-même, et se complaît dans cette existence de sang et de mort.
Cependant, elle est femme, et l'amour la jette dans les bras d'un homme, plus fort et plus énergique encore qu'elle-même. Et tout le livre est alors rempli de la lutte que se livrent, dans le cœur de Paquita la Torera, son amour de l'homme et son amour du sang. La luxure ; la cruauté, l'orgueil bouleversent son âme, tant qu'à la fin, après des mois d'ardente volupté, elle est poussée, par ses passions, à un crime horrible et fastueux.
Ce sont les plus belles pages du roman, pages frémissantes d'amour et d'horreur, que M. Jean de la Hire, qui aime et connaît l'Espagne, a écrites d'une plume vigoureuse, nette et brillante.
Nos lecteurs, qui connaissent déjà M. Jean de la Hire par son livre, édité l'année dernière, Maîtresse de Roy, apprécieront encore mieux ce nouvel ouvrage, la Torera, où le jeune écrivain a renfermé tout ce que la vieille Espagne contient de mystérieux, de terrible et de voluptueux.
La Torera est un type jusqu'à présent inconnu dans la littérature française, et nous sommes heureux de pouvoir en donner la primeur à nos lecteurs.
L'ouvrage est admirablement illustré par Guillonnet.
A une documentation précise, s'ajoute, dans le dessin, une élégance parfaite, un soin artistique de l'exécution et un souffle de vie qui font, de chaque composition, un petit chef-d’œuvre du genre.
J. DE BORIANA"
En attendant d'autres pistes.....