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J.-H. Rosny

DOSSIER : Céline et le Goncourt 1932

16 Février 2015, 15:54pm

Publié par Fabrice Mundzik

Ce Spécial Céline n°11 "L'insoumis des lettres", publié par Entreprendre (Robert Lafont Presse) fin 2013, ne pouvait qu'attirer l'oeil de l'archéobibliographe rosnyien.

Impossible de rater ce titre énorme en couverture : "Comment on lui a refusé le Goncourt en 1932" !

Ainsi donc, "on" aurait "refusé" le Prix Goncourt au bon docteur Louis Destouches... Voilà qui mérite quelques éclaircissements. Mais avant toute chose, le sommaire :

  • ÉTUDE
  • Céline au Bachot, par Eric Mazet
  • CORRESPONDANCE
  • Les Lettres à la N.R.F., 1931-1961 : le médecin épistolier et son éditeur, par Julie Delbouille
  • ÉTUDE
  • De Destouches à Céline - Montmartre 1929-1944, par Jean Maurice Bizière
  • RENCONTRE
  • Céline et le Goncourt : Chronologie des faits et des idées, par Eric Mazet
  • FICTION
  • Les mots qui tuent (aussi bien que les balles) Fallait-il fusiller Céline ?, par Jacques Milliez

La parution de ce dossier est l'occasion idéale pour aborder "L'affaire Céline / Goncourt 1932". Mais commençons par quelques extraits de "Céline et le Goncourt", par Eric Mazet :

Le 14 avril 1932, Louis Destouches, dépose chez Gallimard une dactylographie de Voyage au bout de la nuit, accompagnée d'une lettre : [...] "C'est du pain pour un siècle entier de littérature. C'est le Prix Goncourt dans un fauteuil..."

Sans réponse, il reprend son tapuscrit. Le 30 juin, "Destouches et Denoël signent le contrat d'édition de Voyage au bout de la nuit [...] Le 1er septembre, Denoël aurait donné à lire les épreuves de Voyage au journaliste Carlo Rim."

Lucien Descaves, brouillé depuis des années avec ses collègues, annonce son retour au déjeuner de l'Académie Goncourt.

Des exemplaires nominatifs de "Voyage au bout de la nuit" sont imprimés "sur vergé d'Arches, dont l'un pour Lucien Descaves"

"Le 31 octobre, Céline envoie sa première lettre à Lucien Descaves"

"La première rencontre de Descaves et de Céline a lieu en novembre"

"On me présente au Prix Goncourt le 13 décembre, mais je ne pense pas l'avoir"

"Le 11 novembre, Céline écrit à J.-H. Rosny [aîné], président du jury Goncourt : "Pendant bien longtemps je n'ai connu que deux livres La Guerre du Feu et Sans famille [...]". Céline lecteur de Sans famille, peut-être bien, mais de La Guerre du Feu, on peut en douter (1)"

"Pour le Goncourt mes chances sont tout à fait minces [...] le caractère anarchique du style peut les effrayer. Autrefois les Goncourt étaient anarchistes mais ils ont vieilli, ce ne sont plus que de vieilles femelles conservatrices"

Le 14, "Céline est invité à déjeuner chez Lucien Descaves, avec ses fils Pierre et Max, Robert Denoël, l'abbé Mugnier, et Carlo Rim"

Le 30 novembre "les membres du jury Goncourt se réunissent J.-H. Rosny aîné, président, J.-H. Rosny Jeune, Jean Ajalbert, Lucien Descaves, Léon Daudet, sont prêts à voter pour Céline. Roland Dorgelès dit hésiter. Gaston Chérau, Pol Neveux, Léon Hennique, Raoul Pochon ont d'autres poulains. Descaves propose de décerner le prix après ce tour de table. Le président objecte que ce ne serait pas convenable vis-à-vis des journalistes non prévenus."

"Rosny aîné avait quelques raisons de voter pour Céline. Il n'était pas que l'auteur d'oeuvres préhistoriques ou de science-fiction. En 1913, chez Plon, il avait publié Dans les Rues, deuxième volet du diptyque Les Rafales (2)"

"Sauf incident imprévu, font observer Les Nouvelles littéraires, c'est un des deux romanciers dont on a le plus fréquemment cité le nom qui recevra le prix Goncourt : M. Guy Mazeline ou M. Louis-Ferdinand Céline."

Le 6 décembre, L'intransigeant reprend un article de Lucien Descaves : "Les membres de l'académie Goncourt, en majorité, ont atteint l'âge avancé où l'on éprouve à l'égard du roman le même éloignement que ressentait Goncourt." Il propose un âge limite de 70 ans aux membres de l'académie Goncourt qui décernent le prix. (3)

Le 7 décembre "grande traîtrise, coup de théâtre... Mazeline l'emporte au premier tour par six voix, Rosny aîné, dont la voix compte double, a voté pour M. de Rienzi, auteur des Formiciens (4). Rosny Jeune, Raoul Pochon, Gaston Chéreau, Pol Neveux, Roland Dorgelès ont voté pour Les Loups. Voyage au bout de la nuit n'obtient que trois voix, celles d'Ajalbert, de Léon Daudet et de Lucien Descaves. Lucien Descaves quitte la salle et ne se rend pas au repas."

"Le soir même, Léon Daudet écrit à Lucien Descaves pour lui demander de revenir siéger à l'académie Goncourt. Le lendemain, réponse de Lucien Descaves justifiant son départ."

Lucien Descaves : "Mercredi dernier, notre vote avait été établi. M. Céline obtenait cinq voix dont celle de notre président contre cinq voix au lauréat d'aujourd'hui [...] C'est à la défection de M. J.-H. Rosny aîné, notre président, que nous devons cet échec."

Voici donc résumées les grandes lignes du dossier proposé par Eric Mazet.

Il apparaît clairement que Lucien Descaves est à l'origine de cette "affaire" du Goncourt de 1932. Eric Mazet évoque une "grande traîtrise" (?), pour Lucien Descaves, il s'agit d'un "échec".

Cette "affaire" tourne essentiellement autour des relations entre Lucien Descaves et J.-H. Rosny aîné. Il faut d'ailleurs remonter quelques années pour tenter de mieux comprendre cet affrontement et les mots si durs de Lucien Descaves.

Dans ses "Mémoires de la vie littéraire" (Crès - 1927), J.-H. Rosny aîné note à propos de son collègue :

"Descaves était frondeur et enthousiaste, souvent ronchonneur, ironique, voire sarcastique, un peu exclusif, fidèle à ses amis, foncièrement honnête. Nous ne nous sommes jamais très bien compris. Il doit y avoir entre nous quelque incompatibilité essentielle — et je pense aussi que nous n'avons pas fait l'effort qu'il fallait pour concilier nos différence."

Lucien Descaves est un véritable "petit bouledogue" d'après Edmond de Goncourt !

Comme l'indique Jean-Michel Pottier dans "Lucien Descaves et J.H. Rosny Aîné, de la confiance à la méfiance" (5) :

"A l'époque de l'attribution du prix Goncourt à Marcel Proust pour Les Jeunes filles en fleurs, en 1919, un clivage était déjà apparu. Rosny aîné défendait l'oeuvre tandis que Descaves estimait le choix non conforme à l'idée de Goncourt. Pour lui, comme pour d'autres au demeurant, Proust était trop âgé."

Il ajoute que "le choix de Guy Mazeline et de son roman Les Loups acheva, au moins officiellement, de séparer Lucien Descaves et Rosny aîné. Ce dernier fut entraîné, tout comme Roland Dorgelès, dans une spirale polémique alimentée par Jean Galtier-Boissière, le turbulent directeur du Crapouillot et Maurice-Yvan Sicard, rédacteur en chef d'une petite revue brutale, Le Huron."

Quand Eric Mazet parle de "traîtrise", il oublie de préciser que J.-H. Rosny aîné, très (trop !) diplomate, avait tendance à laisser entendre que tel ou tel auteur aurait sa voix, laissant planer le doute.

Habituellement sans grande conséquence, son attitude fait, cette fois, exploser la situation. Les tensions latentes avec Lucien Descaves arrivent à leur point culminant.

Dans Vu n°248 du 14 décembre 1932, Max Descaves (fils de Lucien Descaves) publie "Le coup du 7 décembre à l'Académie Goncourt". Un article qui reprend celui de Jean Galtier-Boissière, publié dans Le Crapouillot par  :

"les frères Rosny, Ajalbert, Léon Daudet et Lucien Descaves donnent leur voix au Voyage au bout de la nuit. Avec cinq voix (dont celle du président) Céline est assuré du prix. Une semaine se passe et voilà qu'au vote définitif Céline perd la voix des deux frères Rosny [...] Là-dessus Descaves éclate, s'écrie qu'il n'est pas dans ses habitudes pour parvenir dans la salle à manger de passer par la "cuisine" et cet empêcheur de trahir en rond de clamer dans de retentissantes interviews aussi bien qu'en des pamphlets signés "Le prix Goncourt est vendu à l'encan !" que le Président de l'Académie fondée par les frères Goncourt vendît chaque année sa voix. C'était certes le secret de polichinelle dans les salles de rédaction nul n'ignore que cette petite transaction s'opère assez hypocritement par l'entremise d'un éditeur ou d'un directeur de journal [...] Si les membres actuels de l'académie veulent empêcher leur prix de tomber dans le discrédit le plus complet, l'avis unanime est qu'il leur faut immédiatement une mesure radicale EXIGER LA DÉMISSION D'UN PRÉSIDENT ACCUSÉ DE FORFAITURE PAR UN DE SES PAIRS ET QUI N'A RIEN TROUVÉ À LUI RÉPONDRE."

"Un grand procès en perspective" est annoncé dans Chantecler, en juin 1933 :

"M. Rosny Aîné et M. Roland Dorgelès se sont jugés diffamés par un article que M. Maurice Ivan Sicard a publié en décembre dernier dans l'hebdomadaire Le Huron; aussi l’ont-ils assigné devant le tribunal de la Seine. M. Paul Langlois, directeur du Huron, s'est solidarisé avec son rédacteur. L'éminent avocat, Me Campinchi, défendra M. Sicard et le journal Le Huron. Ce procès ne manquera pas d'avoir un grand retentissement."

Voici les résultats de ce jugement :

"La 12e chambre du tribunal correctionnel de la Seine, présidée par M. Dullin, a rendu ses jugements dans les différents procès en diffamation intentés par M. Rosny aîné contre M. Ivan Sicard et M. Galtier-Boissière, qui avaient publié des articles qu'il jugeait à son égard diffamatoires, à la suite de l'attribution du prix Goncourt pour 1932.

Le tribunal a constaté que, dans deux des instances la prescription était acquise par suite du retard des assignations, qui avaient été délivrés après le délai de trois mois.

Par contre une troisième affaire, dans laquelle était seul en cause M. Sicard a été retenue par le tribunal et M. Sicard a été condamné à 200 francs d'amende et à 30.000 francs de dommages-intérêts envers le président de l'Académie Goncourt.

Le jugement note la mauvaise foi de M. Ivan Sicard dans ses attaques contre M. Rosny aîné, « qui jouit de l'estime générale de ses confrères ». Le tribunal précise par ailleurs « que l'inculpé ne peut placer ses allégations sous l'autorité de MM. Lucien Descaves et Léon Deffoux. Ces écrivains, en effet, s'ils n'ont pas apporté leurs témoignages à l'audience, ont, du moins, tenu à faire savoir qu'ils n'entendaient assumer aucune part de responsabilité dans les diffamations produites, et que les critiques portées sur le fonctionnement de l'Académie Goncourt ne visaient aucune personnalité ».

Enfin, le tribunal, faisant œuvre de critique littéraire, déclare que « l'Académie Goncourt, consciente de ses responsabilités envers la langue et la civilisation françaises, ne pouvait attribuer son prix au livre que M. Sicard lui a si vivement reproché de n'avoir pas couronné. »

En ce qui concerne M. Galtier-Boissière, les assignations qui le visaient étant couvertes par la prescription, il a été mis hors de cause." (6)

Compte-rendu, un peu plus "humoristique" :

"L'affaire du prix Goncourt 1932 vient d'avoir son dénouement devant le tribunal correctionnel. Elle mettait aux prises, comme on sait, à propos de l'attribution de la couronne à M. Mazeline (alors qu'il était convenu qu'elle serait décernée à M. Céline) d'une part, Jean Galtier-Boissière et J.-H. Rosny aîné et, d'autre part, Yvan Sicard et Rosny aîné-Dorgelès.

J.-H. Rosny aîné était décidé à abandonner l'affaire, et il s'était réconcilié avec Galtier-Boissière. Mais on le persuada qu'il fallait tout de même qu'un jugement fût rendu. Il le fut, en effet. Les attendus reprirent les principaux passages de l'article incriminé de Galtier-Boissière assez dur pour l'académicien. Ainsi celui-ci dut réentendre en public une lecture qui lui était particulièrement désagréable. Il la trouva mauvaise [...] Mais le moment le plus beau du procès fut atteint lorsque le président lut avec gravité l'attendu suivant : « Attendu que Galtier-Boissière ne s'est pas aperçu que le livre de Céline, auquel les membres de l'Académie Goncourt ont refusé le prix 1932, contient des expressions triviales, grossières et insupportables susceptibles de révolter les lecteurs non avertis, qu'une récompense littéraire doit protéger contre d'aussi désagréables surprises. »

Cette fois, tous ceux qui se trouvaient dans la salle éclatèrent de rire. A commencer par M. J.-H. Rosny aîné." (7)

La déformation des faits, moins de 2 ans après l'attribution du prix Goncourt à Mazeline ("l'attribution de la couronne à M. Mazeline (alors qu'il était convenu qu'elle serait décernée à M. Céline)" ) peut, peut-être, expliquer pourquoi on en arrive à parler de "trahison" 80 ans plus tard...

L'Histoire est souvent réécrite, ce n'est un secret pour personne. J.-H. Rosny aîné écrit d'ailleurs dans "Les Conquérants du feu" (Editions des Portiques - 1929) que notre histoire est "plus ou moins tendancieuse, truquée, falsifiée."

Par exemple, les allégations de Frédéric Vitoux, dans "La vie de Céline" (Grasset - 1988), qui sont très tendancieuses :

"Le journal L'Intransigeant venait de publier en feuilleton un roman de Rosny aîné (8), une appréciable promotion pour un écrivain alors un peu dédaigné. Et qui collaborait à L'Intransigeant ? Guy Mazeline pardi ! Un prêté pour un rendu ? A chacun de conclure."

Ce genre de commentaire sème le doute. Recadrons : Guy Mazeline a gagné le prix Goncourt, c'est un fait, mais J.-H. Rosny aîné a voté pour "Les Formiciens" de Raymond de Rienzi. Par contre, son frère, J.-H. Rosny Jeune, a bien voté pour Mazeline, mais il n'avait aucun lien avec L'Intransigeant...

M. Vitoux ne fait que reprendre les propos de Jean Galtier-Boissière, sans aucune vérification. Passons sur l'écrivain "un peu dédaigné" qu'était J.-H. Rosny aîné selon lui, ce jugement de valeur ne repose sur aucun élément concret et sa bassesse aurait plutôt tendance à décrédibiliser les propos de M. Vitoux.

De même, on peut lire dans l'ouvrage de Stéphane Giocanti, "C’était les Daudet" (Flammarion - 2013) :

"Coup de théâtre ! Les frères Rosny ayant décidé de voter pour Les Loups de Guy Mazeline au dernier moment, alors qu'ils avaient annoncé qu'ils voteraient Céline, ce moindre romancier l'emporte avec six voix contre trois pour le géant."

Même erreur en ce qui concerne la répartition des votes. Avec cette fois une différence notable : les membres de l'académie Goncourt avaient annoncé A L'AVANCE à qui iraient leurs votes. Mais bien sûr....

Là aussi, passons sur Guy Mazeline, "ce moindre romancier" qui devait perdre face au "géant" qu'était Céline ! Encore un jugement de valeur visant à rabaisser ceux qui ont "refusé le Goncourt 1932" à Céline.. Louis-Ferdinand Céline a-t-il réellement besoin de ce genre d'attaque digne d'une cour de récréation pour être grandi ?

Les exemples sont nombreux. L'erreur de ces auteurs est d'appliquer une grille de lecture contemporaine aux événements de décembre 1932.

A lire aussi, sur ce sujet, la critique de cette bouse qu'est "Goncourt 32" d'Eugène Saccomano.

Autre vision (d'époque cette fois !) à lire dans L'Intransigeant n°19402 du 9 décembre 1932.

Une certitude, les charges de Lucien Descaves, Jean Galtier-Boissière et Maurice-Yvan Sicard envers J.-H. Rosny aîné le touchèrent particulièrement.

Dans "Roland Dorgelès: Un siècle de vie littéraire française" (Albin Michel - 2000), Micheline Dupray note que :

"La polémique, sous le titre Jeu de massacre, va se poursuivre des mois. Jean Galtier-Boissière, dans un article, « Exécution nécessaire », demande aux membres de l'Académie Goncourt de prendre une mesure radicale : « Exiger la démission d'un président accusé de forfaiture par un de ses pairs et qui n'a rien trouvé à lui répondre. » Cette fois, Rosny Aîné répond à Galtier-Boissière. II avoue avoir, en général, « négligé de répondre aux entrefilets vénéneux... mais aujourd'hui vous essayez de déshonorer un homme qui n'a jamais commis un acte déloyal envers qui que ce soit. Vous m'accusez d'avoir vendu ma voix à des éditeurs qui m'auraient offert un contrat confortable. Il n'est pas un seul éditeur sur la place de Paris qui oserait me proposer une opération de ce genre-là. »"

L'ouvrage "Gaston Chérau, romancier de la province française : 1872-1937" (Bibliothèque Municipale de Niort - 1987) apporte les éléments suivants :

Des crises ont secoué l'Académie Goncourt au cours des onze années pendant lesquelles il en a partagé la vie. Celle de 1932, provoquée par l'attribution du prix à Guy Mazeline, contre le Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, ébranla la santé du président J.-H. Rosny. Gaston Chérau avait travaillé à la réconciliation de Lucien Descaves avec ses confrères. La colère de Descaves, qui était venu place Gaillon pour faire couronner Céline, son nouveau et bruyant départ furent suivis d'une campagne de presse menée dans Le Crapouillot mettant directement en cause les deux Rosny et Roland Dorgelès. Gaston Chérau s'employa avec sollicitude à soutenir le vieux président blessé dans son honneur.

Jean-Michel Pottier publie, dans "Lucien Descaves et J.H. Rosny Aîné, de la confiance à la méfiance" , le brouillon d'une lettre de J.-H. Rosny aîné à Lucien Descaves :

"Toute cette affaire est abominablement triste [...] Le 30 novembre, j'avais donné ma voix à Rienzi comme je l'ai fait le 7 [...] Le 7, le premier tour a tout bouclé en dehors de moi. Par ailleurs, je n'ai influencé personne. Alors quoi ?"

Ce vote de J.-H. Rosny aîné d'ailleurs n'avait rien d'étonnant ; "Les Formiciens", roman de l'ère secondaire de Raymond de Rienzi, correspond tout à fait aux thématiques qu'affectionnait le vieux Maître :

"Raymond de Rienzi a effectué la vertigineuse plongée dans l'abîme du temps jusqu'à l'ère des grands reptiles mais, surtout, il en a profité pour mettre à mal notre bel anthropocentrisme en choisissant pour protagonistes des créatures non humaines, non humanoïdes et, pourtant, résolument et indéniablement terriennes."

Si trahison il y a, ce n'est pas vis-à-vis de Louis-Ferdinand Céline, mais bien envers Lucien Descaves. Homme au caractère bien trempé, véritable "ours", il ne supporte pas la défaite de son poulain : "'Je ne crois pas qu'il y ait eu une manoeuvre, j'en suis sûr !"

Dans ses mémoires, "Souvenirs d'un ours" (1946), Lucien Descaves note :

"Le 17 décembre [1931] Rosny jeune écrivit de sa province, dans les Lectures du soir, une lettre boufonne où il me reprochait "d'avoir aggravé une malveillante légèreté en tenant sur l'Académie Goncourt des propos qui feront l'étonnement et l'indignation des siècles." Tout simplement... Ronsy aîné était étranger à cette rédaction."

Pour Lucien Descaves, suite au décès de Gustave Geffroy en 1926, "l'âge d'or de l'Académie Goncourt était révolu !" J.-H. Rosny aîné : "il ne disait ni oui ni non. La mort le délivra de son indécision." Ensuite, vint l'ère de "l'inertie de Rosny jeune"...

Les tensions entre Lucien Descaves et J.-H. Rosny aîné ont bien lancé une "affaire" qui a vite dérapé, amplifiée déformée même par la presse, Le Crapouillot et Le Huron en tête. Presse qui, somme toute, ne faisait qu'écho à la colère et la déception de Lucien Descaves.

Dans ses "Mémoires de la vie littéraire" (Crès - 1927), J.-H. Rosny aîné revient sur Lucien Descaves :

"Descaves a des brusquerie, des sautes d'humeur, qui ne laissent pas de déconcerter ses amis. Autoritaire par surcroît, il veut faire dominer son point de vue et lutte alors avec acharnement. C'est surtout à l'Académie Goncourt que ce côté de son tempérament s'est déployé. Nul ne se montra plus ardent pour faire triompher ses candidats [...] Son défaut était de ne pas savoir accepter la défaite, la rare défaite."

Louis-Ferdinand Céline ne fut pas trahi, on ne lui a pas "refusé le Goncourt", son roman est tout simplement passé au second plan, emporté par les remous d'une vieille querelle qui ne demandait qu'à exploser !

Le Goncourt "raté" de Céline ne fut donc que le déclic qui déclencha les hostilités, ni plus, ni moins... Il conclu d'ailleurs cette affaire par ces mots : "Le Prix Goncourt, c'est raté, c'est une affaire entre éditeurs".

La conclusion d'Eric Mazet aurait pu être cette phrase, qu'il écrit page 45 : "Céline est né avec un prix raté."

Que Céline n'ait pas reçu le prix Goncourt est d'une importance secondaire ; ce non-événement n'est qu'anecdotique au final : "Voyage au bout de la nuit" est toujours lu et Céline est connu de tous, ou peu s'en faut. Quant à Mazeline....

Ce dossier n'entre pas en profondeur dans les détails (ce qui demanderait beaucoup plus qu'un simple article), mais il vous donne les principales clefs.

(1) Pourquoi Céline n'aurait-il pas lu "La Guerre du Feu" ? Eric Mazet n'apporte aucune explication sur ce point...

(2) La Saga de la famille Lérande n'est pas un diptyque, contrairement à ce que de nombreux travaux indiquent. Lire BIBLIO : Saga de la famille Lérande à ce sujet.

(3) J.-H. Rosny aîné a alors 76 ans et J.-H. Rosny Jeune, 73 ans.

(4) A propos de "Les Formiciens", "le roman qui a eu la voix de J.-H. Rosny au prix Goncourt", lire : Raymond de Rienzi "Les Formiciens" (1932).

(5) Jean-Michel Pottier "Lucien Descaves et J.H. Rosny Aîné, de la confiance à la méfiance" in Lucien Descaves. Colloque de Brest 2005 (Du Lérot Editeur - 2007)

(6) "Autour du prix Goncourt de 1932" in Chantecler du 22 février 1934

(7) "Le procès Goncourt" in Chantecler du 4 février 1934.

(8) Il s'agit de "La Sauvage aventure", dont la publication a commencé... ahem... AVANT la fameuse réunion du 30 novembre !

DOSSIER : Céline et le Goncourt 1932 - Spécial Céline n°11 "L'insoumis des lettres" (2013)DOSSIER : Céline et le Goncourt 1932 - Spécial Céline n°11 "L'insoumis des lettres" (2013)

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