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J.-H. Rosny

J.-H. Rosny aîné - Pourquoi le cinéma ne nous a-t-il donné aucun grand film sur la Préhistoire ? (1928)

17 Avril 2020, 17:56pm

Publié par Fabrice Mundzik

« Pourquoi le cinéma ne nous a-t-il donné aucun grand film sur la Préhistoire ? », de J.-H. Rosny aîné, est paru dans Pour vous du 6 décembre 1928.

Pourquoi le cinéma ne nous a-t-il donné

aucun grand film sur la Préhistoire ?

Pourquoi le cinéma ne nous a-t-il donné aucun grand film sur la Préhistoire ? Il y a bien quelques essais, mais vagues, insuffisants, mal documentés et puérils ou même stupides.

La Préhistoire pourtant mérite de passionner les grands réalisateurs... On y trouve, pour peu qu’on ait d’imagination, toutes les ressources de l’aventure, du drame et de la fable. On l’ignore. La Préhistoire est encore très peu connue et moins encore assimilée. Tout d’abord, on ne sait guère qu’elle s’étend sur une période immense, qu’elle comporte une série de sociétés humaines différentes les unes des autres...

On ne songe pas, d’autre part, que la Préhistoire humaine est de beaucoup la plus importante époque de l’Humanité. C’est tout au plus si l’histoire embrasse cinq ou six mille ans.

La Préhistoire a duré pour le moins cent fois plus. Qui sait si ce n’est pas la cause secrète de certaines œuvres qui nous ramenèrent vers la vie primitive : Robinson, Paul et Virginie, Atala, Le dernier des Mohicans... Avec la forêt vierge, la savane sauvage, les eaux mystérieuses, le lecteur revivait instinctivement notre plus grand passé.

Pour le milieu choisi, pour la forme des sociétés, nous n’avons que l’embarras du choix.

Préférez-vous l’époque magdalénienne ? vous y trouverez des hommes assurément plus intelligents que les Australiens, plus affinés que les Peaux-Rouges de l’Amérique du Nord et, chose qu’on n’aurait jamais prévue jadis, beaucoup plus artistes que maints civilisés.

Les Magdaléniens ont pratiqué avec une habileté surprenante les arts plastiques : — la sculpture, la gravure, la peinture. Sur les murailles des cavernes, ils ont représenté des mammouths, des aurochs, des fauves, parfois avec une perfection qui ne sera guère dépassée plus tard. Ils sculptaient l’ivoire, la corne, la pierre, l’argile, presque aussi artistement que les Japonais.

Des œuvres comme le magnifique bas-relief de six chevaux, à peu près grandeur nature, sur les rocs du Cap Blanc, le beau cheval arabe, trouvé à Lourdes, la tête de cheval du Mas d’Azil, les bisons d’argile, les merveilleux bâtons de commandement, charment les artistes.

La gravure n’est pas moins étonnante : des mammouths, des rennes, des chevaux, des cerfs élaphes, des bisons, des antilopes, des félins, font l’objet de gravures délicieuses : dalles, blocs, parois des cavernes, tout cela nous révèle un étrange raffinement mêlé à la vie sauvage.

Un tel mélange ne se verra plus. Il pourra bien y avoir quelque art chez les sauvages de l’époque historique, mais rien de comparable à cet art magdalénien que, répétons-le, maint peuple civilisé n’a pas atteint. Il y avait en outre une jeunesse, une sève, une énergie de genèse qui ne se retrouvera plus par la suite : nos sauvages sont des dégénérés comparés aux admirables Magdaléniens.

Vous rendez-vous compte de tout ce qu’un cerveau inventif peut tirer d’une pareille époque ? Ces chasseurs artistes, avec leurs croyances religieuses (que les gravures et les peintures nous révèlent), suggèrent d’aussi beaux romans, partant d’aussi beaux films, que suscite n’importe lequel de nos siècles historiques...

La période néolithique n’en suscitera pas moins, surtout chez les hommes lacustres.

Les cités bâties sur pilotis, au sein des lacs, ont persisté pendant très longtemps. Elles comportaient une industrie complexe et avisée. L'habitant y était à l’abri des fauves, à l’abri aussi d’une attaque subite de ses semblables.

Car on guerroyait beaucoup. Les populations s'étaient accrues ; on se disputait avec ardeur les meilleurs terroirs. En outre, la richesse d’une peuplade prospère était une grande tentation pour les tribus pauvres : déjà la culture, la domestication des bêtes donnaient de grandes ressources.

Figurez-vous des sièges tenaces, de formidables incendies, des iliades enfin et des odyssées : le conteur imaginera maints romans, le cinéaste des films nombreux, sans épuiser le sujet.

Le Magdalénien, le Lacustre, ce n’est encore qu’un coin de la Préhistoire : vous pouvez remonter aux Aurignaciens, aux Moustériens même.

Vous pouvez aussi descendre vers le mégalithique, vers l’âge du bronze, l’âge du fer, et vous ne serez pas au bout.

La Préhistoire est une mine d’or. Les romanciers n’y pensent que depuis quelques années : on ignorait le roman préhistorique avant notre Vamireh, et même quand j’écrivis La Guerre du feu, d’où l’on pourrait tirer, peut-être, un grand film, on ne comptait encore que des essais assez vagues, auxquels manquait l’atmosphère, le sentiment du recul.

Depuis quelques années, divers écrivains, français et étrangers, ont été tentés par cette belle matière. Ils l’ont à peine entamée.

Le théâtre n’a représenté qu’une ou deux sornettes sans importance. Le cinéma n’a rien donné de valable.

Ne se trouve-t-il pas d’une part un écrivain de belle imagination, et d’autre part un hardi réalisateur, pour douer le cinéma d’une grande œuvre préhistorique ?

J.-H. Rosny aîné - Pourquoi le cinéma ne nous a-t-il donné aucun grand film sur la Préhistoire ? (1928)

J.-H. Rosny aîné - Pourquoi le cinéma ne nous a-t-il donné aucun grand film sur la Préhistoire ? (1928)

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