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J.-H. Rosny

Octave Uzanne - Le Génie des Fantasmagories : Maurice Renard romancier (1924)

24 Avril 2019, 15:25pm

Publié par Fabrice Mundzik

Aucune allusion aux frères J.-H. Rosny, dans ce texte...

Toutefois, un article d'Octave Uzanne, sur Maurice Renard, mérite bien une exception, n'est-ce pas ?

« Le Génie des Fantasmagories : Maurice Renard romancier » fut publié le 5 janvier 1924 dans La Dépêche, journal de Toulouse auquel Rosny collabora de nombreuses années — sous le pseudonyme Enacryos, puis J.-H. Rosny aîné. Le hasard n'existe pas ! ^_^

Le Génie des Fantasmagories

Maurice Renard romancier

Certains sophistes-psychologues ayant étudié notre faculté de connaître, estiment que le jugement que nous émettons sur les hommes et les œuvres, ne dérive pas exclusivement de la pure raison. Notre sensibilité y prendrait une assez large part. Cela est fort plausible. D’ailleurs, chez les êtres très évolués, puissamment individualisés, ce qu'on peut nommer la juridiction spirituelle est influencée par l'idiosyncrasie, par les réactions propres à chaque type humain, par l'hérédité, par la formation de la culture morale qui augmente la capacité d'entendement, et aussi par l'indépendance d'esprit, si rare à rencontrer et que notre civilisation n'a pas accrue au point où on le pourrait croire aujourd'hui.

L'immense majorité suit le courant d'une opinion publique faite d'engouement, de vogue passagère, d'enseignement ou d'admiration traditionnels, de convention et de snobisme. Il est très confortable de chausser les idées de Monsieur Tout-le-Monde, et très périlleux de prétendre s'insurger contre les réputations acquises en contrôlant par soi-même la valeur réelle des œuvres consacrées par un succès dont les origines sont parfois d'aspect charlatanesque.

Ayant, en ce qui me concerne, toujours vécu loin des cénacles littéraires où fermentent les projets d'ambitieuses aventures pour l'affichage du talent supérieur que tout écrivain s'attribue, dans l'exaspération de son moi, j'ignore tout de cet art, qui est également une science appliquée à l'industrialisation des productions intellectuelles.

Un goût véhément de lecture et une insatiable curiosité de connaissances et découvertes des chefs-d'œuvre enfouis sous l'indifférence ou la méconnaissance publique, m'ont porté, individuellement, à un dédain assez accusé de toutes les classifications et hiérarchies talentueuses ou géniales admises au Temple de Renommée. Je me suis donc fait un jugement rigoureusement libre d'attacher ou d'influencer, ou du moins j'en ai l'illusoire croyance. J'estime en tout cas que l'attribution des réputations reste souvent précaire, surtout lorsqu'elle est issue de l'union de Minerve et de Mercure, dieu du négoce et des voleurs. C'est pourquoi il ne faut certes pas se lasser d'orienter l'esprit des lettrés vers les talents positifs, solides, succulents et nourriciers d'intelligence, comme il en est encore insuffisamment, révélés.

Je viens de faire l'excellente connaissance des œuvres d'un romancier qui exerça, je le reconnais, une action vigoureuse sur ma sensibilité. M. Maurice Renard pourrait être nommé le Wells français, étant donné notre usage de faire des rapprochements, par à peu près, pour frapper l'esprit, bien que ces assimilations soient défavorables à des cerveaux aussi personnels et originaux que celui dont il est question ici.

Maurice Renard témoigne d'une faculté d'imagination exceptionnelle. Il se plaît et excelle à employer son esprit ingénieux et scientifique en spéculations infinies dans le monde des hypothèses fantastiques, merveilleuses et magiques, en raison de leur admissible vraisemblance. Il a le génie d'un conteur oriental qui se serait assimilé tous les progrès scientifiques contemporains pour en concevoir les évolutions successives et nous en décrire les stupéfiants parachèvements et la surhumaine floraison miraculeuse à leur apogée d'épanouissement.

Son œuvre, sans être considérable compte déjà, pour le moins, six volumes qui s'intitulent : Fantômes et Fantoches ; Le docteur Lerne, sous-Dieu ; Le Voyage immobile, suivis d'autres histoires singulières ; L'Homme truqué ; Les Mains d'Orlac ; Suite Fantastique (M. d'Outremort, etc.) et. enfin Le Péril Bleu. Il n'est pas une de ces fictions qui ne possède les vertus des grands émois, du fiévreux intérêt et qui ne galvanise, fascine, exalte et passionne notre extravaganza imaginaire, amoureuse de mythes, de féeries, d'occultisme et de surnaturel. Jamais l'auteur, n'appuie sur les mêmes thèses. Son génie se métamorphose à souhait, tout en restant en puissance dans tous les sujets qu'il crée. C'est Prothée dans des décors de mystère, d’étrangeté ou de style horrifique, Jamais aussi l’érotologie banale n'y évoque des complaisantes randonnées vers les Cythères où nos romanciers courants n'ont établi que trop de ports d'attache.

Le difficile ici c'est de synthétiser, de fournir une notion succincte de telles œuvres dans une causerie qui n'offre pas le champ d'exposition nécessaire aux explications voulues. Comment, par exemple, faire comprendre, sans développer le schéma de ce conte, tour du monde en aérofixe, qu'est le Voyage immobile de Maurice Renard ?

Certain inventeur yankee imagine, avec clairvoyance, la singulière folie de l'homme qui persiste à se déplacer à grand renfort de vapeur, d'essence ou d'électricité, sur une boule en mouvement, alors qu'il suffit de demeurer stationnaire au-dessus d'elle pour que tous les points d'un même parallèle défilent sous les yeux, l'un après l'autre, avec faculté d'y atterrir. L'aérofixe, par la loi de pesanteur, se maintient à égale distance du centre terrestre, mais il possède un moteur qui l'affranchit de l'entraînement du globe roulant sur lui-même. C'est en ce sens qu'il ne bouge pas, car notre vieille planète continue de l'emporter dans sa course autour du soleil, et le soleil, l'emporte dans la sienne, à travers l'infini des révolutions sidérales.

Mais cet exposé ne dit pas le roman, sa force de création, son esprit d'investigation et de fantaisie scientifique, son attrait passionnant, ni sa stylisation sobre, claire, alerte, précise à la manière de Maupassant.

Comment amorcer l'intérêt sur ce Sous-Dieu, Le docteur Lerne, qui innova des greffes animales sur le règne végétal, qui pratique l'échange des personnalités par la mutation des cerveaux et qui crée des organismes poussés à une telle perfection qu'il parvient à donner presque une entité hypostasique à une automobile qui devient une bête d'acier hostile, indomptable et rebelle aux mains. de ceux qui la veulent conduire.

Dans L'Homme truqué, les yeux d'un aveugle de guerre sont reconstitués artificiellement par d'étranges chirurgiens-ingénieurs, qui ouvrent la vision sur les odeurs, les saveurs et les contacts. Le docteur qui fabrique ces électroscopes s'efforce de constituer un œil complet que les vibrations les plus lentes et les plus précipitées pourraient perfectionner, l'œil qui verrait les rayons infra-rouges, comme les ultraviolets, la chaleur aussi bien que l'électricité. Alors, il n'y aurait plus lieu de distinguer la lumière visible de la lumière invisible, et il n'y aurait plus qua toute la Lumière. Quelle splendeur !

Je m'arrête, ne pouvant exprimer ici la fantasmagorie du Péril Bleu, la formidable aventure des Mains d'Orlac et la verve de tant d'autres histoires singulières d'une lecture si prenante, si accaparante qu'elle nous soustrait à l'ambiance des heures moroses et nous transporte vers des ailleurs illusoires, mais qui baignent encore, dans une atmosphère de vie réelle, positive, tant elle semble logique et normale dans son substratum imaginaire.

Maurice Renard s'apparente indiscutablement avec Hoffmann, Edgar Poe, Nathaniel, H.-G. Wells, il porte ses conceptions au zénith du Prodigieux. Il est essentiellement français dans sa virtuosité de concept et d'exposition. Comment se fait-il qu'il n'ait pas encore touché les grosses collectivités de lecteurs qui assurèrent la célébrité d'un Jules Verne ?

Octave Uzanne - Le Génie des Fantasmagories : Maurice Renard romancier (1924)

Octave Uzanne - Le Génie des Fantasmagories : Maurice Renard romancier (1924)

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S
Beau blog. un plaisir de venir flâner sur vos pages. Une belle découverte. Un blog très intéressant. J'aime beaucoup. N'hésitez pas à visiter mon blog (lien sur pseudo). Au plaisir.
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