Raoul Ponchon "La dernière aventure de Sherlock" (1910)
Dans la rubrique Gazette Rimée, Raoul Ponchon a fait paraître, dans Le Journal du 13 décembre 1910, le conte "La dernière aventure de Sherlock".
Petit plaisir personnel : réussir à glisser une allusion au merveilleux Poul Anderson ou à Sherlock Holmes dans un article !
Comme le titre l'indique, il s'agit cette fois du plus grand des détectives.
Le lien avec les frères J.-H. Rosny ?
Raoul Ponchon a publié, dans la même rubrique, "Le Choix du costume" (1903) qui met en scène les académiciens Goncourt ?
Faire un parallèle avec les divers allusions à Sherlock Holmes qu'ils ont glissé, eux-aussi, dans leurs oeuvres ? (voir liste à la fin de cet article).
Le fait que Raoul Ponchon soit, quelques années plus tard, devenu membre de l'Académie Goncourt ?
Parce que J.-H. Rosny aîné a écrit plusieurs textes sur Raoul Ponchon, dont "Du Grenier à la cave" (1934) ?
... (je peux en trouver d'autres, au besoin :) )
La dernière aventure de Sherlock
Or Dieu, selon son habitude,
Parcourait les rangs des élus
Par le dernier bateau venus
Au séjour de béatitude,
Lorsque tout à coup son regard
Tomba sur un certain lascar
Dont l'œil inquiétait la foule.
Et vous eussiez dit d'un renard
Qui veut s'appuyer une poule.
C'était ce vieux Sherlock Holmès,
Impénétrable comme Hermès.
« Tiens ! c'est Sherlock ! dit Dieu le père.
Et pourquoi, de cet air sévère,
Regardes-tu tout un chacun ?
Est-ce que tu cherches quelqu'un ? »
« Non, non. Je ne cherche, personne.
Je m'amuse à dévisager
Ces gens, qui me sont étrangers.
Et, tout d'abord, ce qui m'étonne,
C'est de voir ici rassemblé
Ce monde quelque peu mêlé. »
« Ça, c'est de la faute à saint Pierre.
Il n'est plus guère à la hauteur
De sa fonction coutumière.
Mais quoi ! c'est un vieux serviteur ;
Ensuite, il est trop bon. De sorte
Qu'il ouvre quelquefois la porte,
Je te l'accorde, à des seigneurs
Qui seraient beaucoup mieux ailleurs.
Mais ils sont ici, qu'ils y restent.
Tant pis si les autres protestent.
» Tu ne cherches personne ici,
Disais-tu donc. Eh bien, moi, si.
Depuis déjà pas mal d'années,
Je veux revoir le père Adam
Et je ne puis. Et cependant,
Comme tu sais, je l'ai vu naître.
Que dis-je, vu ?... je l'ai créé
De toutes pièces et doué
De mainte qualité champêtre.
Et donc, parmi tous ces élus,
Qui sont des milliards et plus,
Je ne saurai le reconnaître.
Autant chercher (tu m'es témoin)
Une aiguille en un tas de foin.
Et c'est cela qui me tracasse.
Or, toi, que je sais perspicace
Et merveilleusement têtu,
Tâche à me le trouver. Si tu
Me rends ce signalé service,
Je te fais chef de ma police.
Prends ton temps, d'ailleurs. Aussi bien
Nous avons, ce qui n'est pas rien,
Devant nous l'éternité toute. »
« L'éternité ! dit l'autre. Écoute :
C'est deux ou trois jours qu'il me faut,
Ou mon flair serait en défaut »
Là-dessus, il se mit en route.
Or, Sherlock, dès le lendemain,
Revenait, tenant par la main
Un être assurément quelconque,
Et qui ressemblait à quiconque.
« Tiens, dit-il à Dieu, le voilà
Ton père Adam. — Comment cela ?
Qu'est-ce qui me le prouve, en somme ?
Fit le Seigneur, des plus surpris.
« Parbleu ! c'est qu'il est le seul homme,
Ici, qui n'ait pas de nombril. »
Raoul Ponchon.
A lire aussi :
DOSSIER : J.-H. Rosny aîné et Sir Arthur Conan Doyle
Publicité pour la revue Nos Loisirs du 30 décembre 1906
J.-H. Rosny Jeune "Sous le signe de la beauté" (Ferenczi - 1931)
J.-H. Rosny aîné "Sabine et son Père" (Flammarion - 1932) & J.-H. Rosny aîné "Sabine et son Père" (Flammarion - 1943) [7e Mille]
J.-H. Rosny Jeune "La Croisière d'Esclarmonde" (Albin Michel - 1942)
J.-H. Rosny Jeune "Du Sang sur la neige" (Ferenczi - 1947)
J.-H. Rosny aîné "Ironcastle", trad. Philip J. Farmer (1976)
Allusions : Kim Newman "Anno Dracula" (1992)
Le Détective Plongeur in Le Visage Vert n°23 (2013)
... ainsi que différents pastiches et dossiers sur Sherlock Holmes à (re)découvrir sur le Blog de l'Amicale Des Amateurs de Nids À Poussière (A.D.A.N.A.P.).
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