Léon Deffoux "Le Manifeste des "Cinq" contre La Terre" (1929)
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Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques du 10 août 1929 :Le Manifeste des "Cinq" contre "La Terre"
Contre le mouvement littéraire naturaliste et contre. Émile Zola, il y eut aussi des colères provoquées, des indignations intéressées, des rivalités de chapelle et de succès... Ainsi la révolte machinée, contre la Terre, par les jeunes signataires du Manifeste des Cinq (Paul Bonnetain, J.-H. Rosny, Lucien Descaves, Paul Margueritte et Gustave Guiches), dans le Figaro du 18 août 1887.
On en connaît le thème : « La Terre a paru. La déception a été profonde et douloureuse... Nous répudions énergiquement cette imposture de la littérature véridique... Notre protestation est le cri de probité, le dictamen de conscience de jeunes hommes... » etc.
J.-K. Huysmans voyait juste lorsque après avoir lu ce « solennel et remarquablement niais manifeste », il en désignait le rédacteur : J.-H. Rosny aîné ; le lanceur : Paul Bonnetain, et ajoutait que ce dernier avait été vraisemblablement incité à en donner le texte au Figaro (dont il était directeur littéraire), « par une personnalité que ces gens fréquentent tous ».
« Je le pense fort, disait Huysmans, car ce me semble flairer fortement le hors-Paris, ce coup-là. »
Par ce « hors-Paris », Huysmans désignait assez clairement Champrosay, résidence d'été d'Alphonse Daudet, Champrosay où fréquentait Goncourt et où il retrouvait quelques-uns des habitués de son Grenier comme les frères Rosny et Paul Bonnetain.
Ces soupçons de Huysmans étaient bien fondés. On en acquit une preuve nouvelle lorsque la Revue de Paris publia, en avril 1928, les lettres de Zola à Goncourt : les initiés y trouvèrent la confirmation de faits qu'ils connaissaient bien et que M. Maurice Le Blond avait résumés d'une phrase dans un article des Marges :
« L'affaire avait été combinée au cours d'un séjour d'Edmond de Goncourt chez Daudet, lequel avait fini par ressentir pour Zola une jalousie maladive... »
La correspondance de Zola nous apprend, au surplus, que s'il voulut prendre le parti de ne rien constater de ces « vilains dessous », il était loin de les ignorer.
De son côté, Henry Céard (intime ami de Zola, en 1887) l'avait mis longuement au courant des sollicitations dont il avait été l'objet, tant chez Goncourt que chez Daudet, pour signer le fameux manifeste. C'est de Céard lui-même que je tiens des renseignements écrits sur cette question, laquelle est au centre de toute l'histoire anecdotique du naturalisme et d'une partie des retards apportés à la publication intégrale du Journal des Goncourt.
On sait qu'après avoir été désigné par Edmond de Goncourt comme son exécuteur testamentaire et membre de la future Académie (testament du 16 novembre 1884), Henry Céard fut écarté de la liste, après son adaptation malheureuse de Renée Mauperin au théâtre. Mais l'échec de Renée Mauperin n'était pas la seule cause de cette disgrâce ; ou, plutôt, une autre cause se greffait sur celle-là.
Laissons ici la parole à Henry Céard : « Pour ce qui me regarde, c'est bien en janvier ou février 1887 que je fus rayé, d'abord comme exécuteur testamentaire. On me fit informer de la mesure. Comme je répondais ne pas m'en soucier le moins du monde, que je cessais d'aller à Auteuil, et témoignais hautement que je ne retournerais jamais au Grenier où j'aurais l'air de mendier ma rentrée en grâce alors, après le Manifeste des Cinq, le promoteur de la protestation me remplaça et reçut ainsi sa récompense, » (Lettre d'Henry Céard du 25 août 1916.)
Le Manifeste des Cinq est du 18 août 1887 : M. Joseph-Henry Rosny fut effectivement substitué le 5 novembre de la même année, à Henry Céard, comme membre de l'Académie où celui-ci ne devait plus entrer que trente ans plus tard.
Certes, le retentissement du manifeste contre la Terre fut considérable et, pour le public, marqua, comme l'avaient voulu ses inspirateurs, la désaffection momentanée de quelques jeunes à l égard de Zola, sinon dit naturalisme. Mais l'éclat aurait été plus grand encore si l'on eût pu réussir à détacher publiquement du groupe de Médan un des intimes de Zola.
La dispersion, de ce côté, se fit avec d'amicales précautions et parce qu'il ne pouvait en être autrement : une école, même littéraire, ressemble un peu trop, pour tout esprit indépendant, à une cage.
Léon Deffoux.
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J.-H. Rosny aîné "Torches et lumignons" (La Force française - 1921)
André Antoine "Mes souvenirs sur le Théâtre-Libre" (Fayard - 1921)
J.-H. Rosny aîné "Portraits et souvenirs" (C.F.A.G. - 1945)
Alain Pagès "Zola et le groupe de Médan : Histoire d'un cercle littéraire" (Perrin - 2014)
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