Catalogue "Joris-Karl Huysmans : du naturalisme au satanisme et à Dieu" (Bibliothèque Nationale - 1979)
"Joris-Karl Huysmans : du naturalisme au satanisme et à Dieu" est le titre d'un catalogue d'exposition publié par la Bibliothèque Nationale en 1979.
L'Avant-propos est de Jacques Guignard, Conservateur en chef de la Bibliothèque de l'Arsenal.
Quelques pièces, directement en lien avec les frères J.-H. Rosny, sont à signaler :
65 LE MANIFESTE DES CINQ. Lettre d'Emile Zola à J.-K. Huysmans, 21 août 1887. — B.N., Ars., Ms. Lambert 28 (63).
Dans Le Figaro du 18 août 1887, Descaves, Guiches, Bonnetain, Rosny et Margueritte, plus ou moins à l'instigation d'Edmond de Goncourt, lancèrent une très violente attaque envers Zola, au nom de la littérature décente. Quoique s'étant déjà fort écarté de la voie du naturalisme, Huysmans ne s'associa pas à cette diatribe d'au moins deux de ses proches amis et tint à en assurer Zola. (Cf. Lettres inédites à Emile Zola, éd. P. Lambert, 1953, p. 129.) Celui-ci lui répondit qu'il avait « bien reconnu le Rosny dans l'entortillage pédant des phrases et [que] Bonnetain ne pouvait être que le lanceur. Tout cela est comique et sale ».
66 LETTRE DE J.-K. HUYSMANS A LUCIEN DESCAVES, août 1887. B.N., Ars., Ms. Lambert 21 (17).
« Mais non, mon cher Descaves, je ne suis pas fâché avec vous, pour une affaire qui en somme ne me regarde même pas. »
Il s'agit du « manifeste des cinq », dont Descaves fut un des signataires, mais que Huysmans réprouva.
436 L'ACADÉMIE DES GONCOURT. LES HUIT. Extrait de L'Illustration, samedi 1er août 1896, pp. 82 et 96. Archives de l'Académie Goncourt, en dépôt à la Bibliothèque de l' Arsenal.
Au décès d'Edmond de Goncourt, la liste des membres de la « Société littéraire des Goncourt » avait été arrêtée à huit noms par le fondateur : Alphonse Daudet, le seul « rescapé » de la liste de 1874, Gustave Geffroy, Paul Margueritte, Joris-Karl Huysmans, qui avait remplacé en 1883 Philippe de Chennevières, Léon Hennique, Rosny aîné, Rosny jeune, Octave Mirbeau.
L'article commentant la gravure rappelle le sobriquet d'« académiette » ironiquement appliqué par Emile Faguet à la société voulue par Edmond de Goncourt.
441 J.-K. HUYSMANS ET DESCAVES A LIGUGÉ. Photographie. B.N., Ars., Fonds P. Lambert.
Lucien Descaves a évoqué dans ses souvenirs les séjours qu'il fit près de Huysmans à Ligugé, en 1899, 1900 et 1901. Il notait avec plaisir que son ami s'était ouvert à la nature. Avec bien des réserves, toutefois : « Dans l'après-midi, nous avons fait une courte promenade sur les bords du Clain, maintenant familiers à Huysmans [...] Comme je célébrais les charmes de cette accointance, du moins pendant l'été, il s'arrêta pour rouler une cigarette, me jeta un regard en dessous et dit : « Évidemment. mais des boîtes de bouquinistes tout le long, comme sur les quais, rendraient l'endroit plus avenant encore ! » (L. Descaves, Les Dernières années de J.-K. H., p. 109.)
La conversation entre les deux amis a souvent porté sur l'Académie Goncourt. Lucien Descaves a témoigné de l'exactitude de Huysmans dans l'accomplissement de ses fonctions de président : « Aucun litige, aucun abus de pouvoir, aucune infraction aux volontés des Goncourt ne se produisirent tant qu'il vécut ». (Cité par G. Chastel, J.-K. Huysmans et ses amis, 1957, p. 271.)
445 J.-H. ROSNY AÎNÉ. Notes sur A. Daudet [...] Joris-Karl Huysmans. Manuscrit. — B.N., Ars., Ms. 15218.
Rosny aîné, de son vrai nom Joseph Henri Boex, et Huysmans avaient tous deux fréquenté l'hôtel du boulevard de Montmorency où demeurait et recevait Edmond de Goncourt. Plus tard, ils furent collègues à l'Académie Goncourt. Ils ne sympathisaient pas. Huysmans reprochait à Rosny, qu'il qualifiait d'« homme mal élevé », d'avoir participé au « manifeste des Cinq » contre Zola (voir nos 65 et 66), peut-être même de l'avoir rédigé. Il jugeait superficielles les connaissances scientifiques de l'auteur de La Guerre du feu. Les notes de Rosny aîné en vue de ses chroniques et de Torches et lumignons tracent un portrait pittoresque et humoristique de Huysmans, au physique et au moral : « [...] il exhalait parfois des propos amers, aigres et pleins de termes péjoratifs. A première vue avec son front bizarre, son crâne planté de cheveux gris qui ressemblaient à quelque plumage et ras, ses yeux ronds et fureteurs, il faisait penser à des oiseaux de nuit, chouettes ou chats huants ».
Mais il reconnaissait que son œuvre était « savante, intense et riche en minuscules trouvailles ».
"Mme Françoise Py, conservateur à la Bibliothèque de l'Arsenal, a rédigé le chapitre VIII (Huysmans et l'Académie Goncourt)" :
VIII HUYSMANS ET L'ACADÉMIE GONCOURT
On sait que, jeune auteur de Marthe, J.-K. Huysmans est entré en relations avec Edmond de Goncourt, le maître auquel il avouerait un peu plus tard : « [...] si j'ai eu l'ambition d'écrire, c'est à vos livres que je la dois. » Ses lettres à Edmond de Goncourt sont empreintes de reconnaissance, de cordialité et d'une très réelle admiration pour les œuvres que celui-ci continuait à produire et qu'il se plaisait à lui envoyer, en particulier pour le Journal. Réciproquement, Goncourt le traitait avec une amitié un peu paternelle, l'accueillant dès la réouverture du « Grenier » en 1884, et rangeant son exemplaire d'A rebours dans la vitrine de ses livres préférés.
Mais il y avait de la part de chacun des réserves vis-à-vis de l'autre, ce qui n'est pas pour étonner, ni du pessimiste Huysmans, ni d'Edmond de Goncourt, dont la plume se faisait parfois acérée. La conversion de Huysmans laissait Goncourt sceptique. Certaines œuvres lui déplaisaient, comme En ménage, à propos de quoi il écrivait : « Ce Belge avec ses ascendances hollandaises me semble descendre des cours de tabagie d'Ostende, avec leur vaisselle à pisse et à dégueulis. » De son côté, Huysmans a jugé Goncourt naïf et peu psychologue. Le rite des réunions dominicales, dans la maison d'Auteuil, l'agaçait. « Encore si on pouvait expédier ses dévotions et filer dare-dare. Mais ce n'est pas possible, faut rester jusqu'au bout ! » confiait-il à Gustave Guiches (R. Baldick, Vie de J.-K. H., p. 143.) On se le représente comme Léon Daudet l'a malicieusement décrit : « Il fallait voir Huysmans dans un coin du Grenier, allumant une cigarette comme pour chasser un insecte, cherchant à s'évader par petits pas feutrés et coulant vers son interlocuteur un regard de martyr qui eût voulu se faire bourreau. » (A. Billy, Les Frères Goncourt, pp. 426-427.)
Pourtant, en dépit de ces mutuelles réticences, le fait est qu'Edmond de Goncourt a placé et maintenu Huysmans sur la célèbre liste des futurs membres de la Société littéraire des Goncourt et que Huysmans, premier président de la société devenue Académie Goncourt, a fidèlement servi la pensée du fondateur. Il eut d'autant plus de mérite à assumer cette fonction que, lorsqu'il fut sollicité par ses confrères, il espérait encore s'établir définitivement à Ligugé, et qu'ensuite, de retour à Paris, sa santé ne tarda pas à se détériorer. La lecture des nombreux ouvrages candidats au prix Goncourt lui parut souvent accablante. Mais il l'assura avec constance et sut rallier les suffrages de ses confrères en faveur des œuvres sur lesquelles son choix s'était arrêté.
F. P.
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