Remy de Gourmont - J.-H Rosny aîné : Le Maître de l'Angoisse (1914)

Article publié dans La France du 16 avril 1914 :

LES IDÉES DU JOUR

Le Maître de l'Angoisse

Ce que j'admire le plus dans J.-H Rosny, l'aîné, c'est son pouvoir de créer de l'angoisse avec des inventions on peut dire cosmiques, c'est-à-dire qui touchent à la constitution du monde physique.

Qu'arriverait-il, s'est-il demandé, si tout à coup la lumière se révélait « malade », si quelques unes des couleurs fondamentales du spectre se trouvaient mangées, d'autres renforcées ?

Et il a bâti sur ces données le plus extraordinaire roman, le plus humain aussi, qui se puisse imaginer. Il y a là un fantastique qui dépasse singulièrement celui de Wells parce qu'il est mis en œuvre avec un génie logique qui dépasse de beaucoup la puissance du romancier anglais.

Pour ceux qui ne suivent pas de très près les filiations littéraires, il semble pourtant que Wells l'ait vaincu dans sa fantastique Guerre des Mondes, mais on oublie que les Xipéhuz, les petits êtres électriques et mystérieux, ont servi de point d’appui à la création des Martiens.

Rosny, reconnaissant le mérite de son rival anglais, n'a jamais relevé les analogies entre tel de ses romans et les siens, mais voici que Conan Doyle se met de la partie, imitant à la fois et Rosny et Wells.

Rosny proteste avec raison. Il veut rester le maître de l'invention cosmique et veut que l'on sache que la Force mystérieuse ne doit rien à personne.

Ces romans fantastiques de Conan Doyle sont si pauvrement conçus et exécutés qu'ils touchent au comique. Ceux de Rosny ont créé un tragique nouveau. Cela suffit à établir leurs places respectives. Les uns sont des contes pour les imbéciles, les autres des merveilles de mécanique.

Remy de Gourmont.