Critique de "La Vampire de Bethnal Green" par René Lalou (1935)
Chronique de "La Vampire de Bethnal Green", par René Lalou, dans Le Livre de la semaine de Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques du 23 février 1935.
Évidemment, ce titre semble annoncer, quelque roman à ne pas lire la nuit. En fait, la Vampire de Bethnal Green (1) désigne le premier des trois récits dont se compose le volume auquel il a, suivant l'usage, donné son nom. Et pour les admirateurs de J.-H. Rosny aîné, ce recueil aura la valeur d'une anthologie.
« S'il y a dans le monde une histoire attestée, c'est celle des vampires ; rien n'y manque », déclarait Jean-Jacques Rousseau. Mais c'était pour conclure ironiquement : « Avec cela, qu'est-ce qui croit aux vampires ? » Le biographe de la Jeune Vampire affirme, lui, qu'il y a « quelque chose de vrai dans toutes les croyances persistantes des hommes » et nous conte la dramatique idylle de la belle Evelyn Grovedale qui eut « un enfant d'une autre femme ». Cette mystérieuse dualité, son mari l'a devinée par « un souvenir de l'instinct » ; elle va provoquer une découverte qui « bouleversera les sciences biologiques » : ainsi, parti de l'inconscient, Rosny aîné débouche victorieusement en pleine anticipation.
Le troisième conte s'appelle Sinus, fanatique de la force. Or, Sirius est un grand chien roux qui, adorant en son maître un chasseur infaillible, le trahit quand les cartouches manquent et lui revient quand le moderne Orion a retrouvé des munitions pour abattre le jaguar. J'avoue que le début de ce récit a bousculé mes notions sur la psychologie canine que je pensais fondée sur la fidélité. Mais lorsqu'au dénouement écrivain nous montre Sirius « prosterné comme un homme » aux pieds du vainqueur, j'ai compris qu'il s'agissait d'un apologue.
Entre l'histoire de la vampire et celle du chien différemment humanisés se déroule un récit. Le Trésor dans la neige, qui comptera parmi les chefs-d'œuvre de Rosny aîné. Vous hausseriez les épaules si je tentais de vous expliquer par quel concours de circonstances Alglave partagea pendant deux années la vie des fils du Mammouth et vit mourir le dernier mammouth le 19 mai 1899. Mais c'est le visionnaire de la Guerre du feu qui évoque la savane au cœur du désert polaire où s'achève l'épopée préhistorique à laquelle Alglave aura mêlé nos émotions modernes. Et ce Rosny-là, nul lecteur n'a jamais résisté à la force de ses envoûtements.
Sa puissance, il la délègue ici à son héros. Quand Alglave, sous le nom d'Alglâ, fils du Mammouth, épouse « une fille des temps abolis » après l'avoir frappée selon le rite, il éprouve « avec l'exaltation de l'amour, je ne sais quel sentiment d'immortalité ». Plus tard, contemplant une aurore boréale, il songera que l'univers est fait d'une « infinité de coexistences qui s'entre-traversent, comme si chaque système était un pur néant pour les autres ». Ainsi poésie et science s'accordent pour peupler de grandioses visions l'imagination de Rosny aîné. Dans l'art des graveurs de la Madeleine, il sent déjà frémir le génie de Rodin et de Bourdelle. Peignant un amour d'aujourd'hui, il demeure hanté par l'image du primitif qui emportait sur son épaule la vierge aux longs cheveux dorés. Il possède ce privilège d'être le contemporain de tous les âges e l'humanité.
René LALOU.
(1) Aux éditions Albert.
A lire aussi :
J.-H. Rosny aîné "La Vampire De Bethnal Green" (Albert - 1935)
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