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J.-H. Rosny

Gérard de Lacaze-Duthiers "Philosophie de la Préhistoire", préface de Han Ryner (Flammarion - 1931)

10 Mars 2014, 18:28pm

Publié par Fabrice Mundzik

"Philosophie de la Préhistoire", par Gérard de Lacaze-Duthiers, fut publié chez Ernest Flammarion en 1931.

Premier volume d'une série annoncée en 10 tomes, cet ouvrage, sous-titré "Introduction à la philosophie de l'histoire", est préfacé par Han Ryner.

Le Tome II, listé à la fin de l'ouvrage sous le titre "Tableau des Philosophies Préhistoriques", est préfacé par J.-H. Rosny aîné. Mais nous n'avons, pour le moment, pas trouvé d'exemplaire de ce volume...

Il est, à plusieurs reprises, question de J.-H. Rosny aîné, ainsi que de son œuvre.

Quelques extraits :

La méthode des sciences serait, d'après J.-H. Rosny aîné, le pluralisme : celui-ci n'est pas un confusionnisme, comme on l'a prétendu.

"La contrainte sociale, selon Rosny aîné, est un bienfait inapréciable pour les imbéciles". Elle les dispense de penser et d'agir. Ils n'ont plus qu'à laisser docilement mener par la main, comme un enfant incapable de marcher seul.

"Il y a du criminel dans tout homme politique", déclare J.-H. Rosny aîné. Ce n'est guère flatteur pour ces Messieurs.

Petit "bonus", l'exemplaire présetnée est dédicacé par l'auteur.

La Préface de Han Ryner est très intéressante, la voici dans son intégralité :

PRÉFACE

Parmi les vocérations et vociférations des charlatans du lancement et des bonimenteurs de la « critique littéraire », les écrivains d'un jour font leurs pitreries et leurs quêtes. A l'écart, quelques hommes travaillent sans bruit et attendent d'être morts pour, dans une lumière imprévue, se manifester immortels. Sans hâte et sans répit, indifférent au silence des voleurs de gloire et des mercantis de renommée, Gérard de Lacaze-Duthiers construit, loin des saltimbanques et de leurs baraques, une œuvre multiple, puissante, magnifique et durable. Nous sommes toutefois plusieurs à aimer dès aujourd'hui l'homme et son effort, à admirer son caractère, son courage, sa persévérance ; à constater aussi, avec le génial J.-H. Rosny aîné, que Lacaze « unit le double don de la pensée abstraite et du sentiment artistique à un degré qui se trouve très rarement ». Et nous nous émerveillons qu'il sache si bien « joindre la véhémence à la raison, l'éclat à la logique, l'intuition ardente à la réflexion ».

A le voir ainsi doué bilatéralement, nous ne nous étonnons pas qu'il cherche dans l'esthétique la solution de tous les problèmes. Et comme seul moyen de salut individuel — donc, aussi comme unique méthode efficace vers ce salut universel qui ne saurait être que la somme des saluts individuels — il nous propose l'artistocratie.

Aujourd'hui voici qu'il crée une science nouvelle.

Son grand-oncle Henri-Félix de Lacaze-Duthiers adopta jadis la zoologie, pauvre science jusque-là de musée, science morte et on est tenté de dire : empaillée. Par l'observation en pleine nature des animaux marins, il en fit une étude passionnément vivante.

Par le rapprochement de deux disciplines poussiéreuses et ensommeillées, la philosophie et la préhistoire, notre Gérard nous dote d'une connaissance neuve, d'une méthode puissante et d'une lumière qui rayonnera de plus en plus.

Il y a souvent du hasard dans la naissance des grandes choses et dans le dévoilement des belles vocations.

Voici quelques années, Gérard de Lacaze-Duthiers, non, je crois, sans hésitation et, si je me souviens exactement, sur mon refus d'homme trop occupé, consentit à faire un cours de philosophie. Je songe en souriant de ravissement à la gloire paradoxale de ma paresse et combien mon avarice enrichit l'avenir. A méditer sur le plan de son cours et à chercher ce que serait la leçon d'ouverture, Lacaze comprit, premier, que l'histoire de la pensée est, autant, que celle de l'action, la suite plus ou moins logique et déterminée d'une préhistoire. Et pourquoi serait-il plus impossible de deviner les méditations et les rêveries de nos lointains ancêtres que leurs mœurs et leurs gestes ? Leurs outils et leurs armes nous révèlent leur activité d'ouvriers et de guerriers. Leurs gravures et leurs reliefs disent directement comment ils observaient la nature et quels étaient leurs rêves de beauté. Avec à peu près la même quantité d'arbitraire que lorsque nous ressuscitons les personnages historiques ces œuvres graphiques ou plastiques permettent de reconstituer un peu leurs arts plus fuyants, danse, musique et autres rythmes du corps et de l'esprit.

A une telle ambition et à une telle méthode, seul Gérard de Lacaze-Duthiers était prédestiné : depuis qu'il s'est éveillé à la pensée personnelle, il voit dans l'esthétique le sommet vers quoi montent grimpements et vapeurs, méditations et songes, art et philosophie.

Ce que les professeurs nomment philosophie est chose trop mince et trop morte, trop ridiculement subtile et artificielle, trop éloignée de l'action, trop tombante et coulante vers le vide et la folie pour intéresser notre Gérard, ami du concret, de la sincérité et de l'harmonie.
Un peu autrement qu'à Pascal, l'expérience lui a enseigné que « se moquer de la philosophie, c'est vraiment philosopher ». Se moquer de la philosophie des professeurs, de cette philosophie analytique et paralytique, est nécessaire à apprendre que philosopher « c'est tenter de concilier dans sa personne l'amour et la raison, l'inconscient et le conscient ».

Quel naïf chercherait chez nos professeurs le spectacle sublime d'un tel effort ? Ah ! ce ne sont pas eux qui ont jamais entendu la grande leçon : « La philosophie est un art, le plus beau de tous les arts, car elle les contient tous : c'est l'art de vivre par excellence ».

Cet art de vivre a, si j'ose dire, ses magnifiques spécialistes : les Socrate, les Epictète, les Spinoza. Mais les écrivains abstraits qui n'ont pas mis leur vie d'accord avec leur doctrine nous en apprennent infiniment moins que les grands poètes, les grands sculpteurs et les grands peintres. Ceux que Baudelaire appelle les Phares nous éclairent un peu mieux que les pauvres lampions de Sorbonne.

Art de semer, lente création du blé, du raisin, de la rose, domestication des animaux, création de l'écriture, analyse du langage et invention de l'alphabet, ces premières découvertes n'ont-elles pas exigé autant de génie que les calculs d'Archimède ou les recherches de M. Branly ? Et les premiers dessins sur roche manifestent-ils moins d'intelligence que les chefs-d'œuvre de nos peintres ? Héritiers ingrats, évitons l'aveuglement de mépriser les labeurs étonnants qui ont commencé la fortune humaine. Demandez aux enrichis si leurs premiers dollars ne furent pas conquête plus dure que le second million ou le troisième.

Cerveaux obstinés et puissants, nobles mains qui sans maîtres vous êtes faites invention et adresse, regards qui avez su voir sans éducation, cœurs généreux qui vous êtes éveillés de vous-mêmes à l'amour de la nature et à sa patiente représentation, élans éperdus vers la vie et consentements aux hésitantes lenteurs de sa traduction : si nous savions encore nous agenouiller, n'est-ce pas devant les artistes du quaternaire que nous nous prosternerions ? Gérard de Lacaze-Duthiers ne nous dira pas seulement leur beauté visible et leurs sentiments héroïques ou attendris ; il nous découvrira les conceptions profondes, souterraines parfois, qui alimentent leur fécondité. Il nous fera suivre, descendus de la source pure et sûre de l'observation, les méandres de rêve et de sublime ivresse qui les emportaient vers toutes les beautés à réaliser. Ah ! si ceux de l'histoire avaient travaillé aussi bien que ceux de la préhistoire, si nous-mêmes valions ces extraordinaires réalisateurs, l'homme serait enfin humain et sa Société ne serait pas étouffement et tyrannie. Hélas ! ceux mêmes qui devraient être les guides, nos prétendus artistes, nos menteurs philosophes sont des prostitués, comme les professionnelles de l'amour ; ils vendent des grimaces, du chiqué et de l'empoisonnement. C'est ce que montre de façon cruelle et nécessaire la partie du présent volume intitulée : Prolégomènes.

Après cet indispensable déblaiement, Lacaze-Duthiers commence l'histoire de la préhistoire. De ce vaste travail, ce tome I ne contient qu'une étude, — passionnante d'être profonde, « d'être combative et d'être complète sur le grand et encore plus qu'à demi méconnu Boucher de Perthes. Avec un intérêt haletant on suit ses trente années de combat contre les « savants » officiels, éternels obstacles de mort devant tout ce qui marche. Si sa grande découverte scientifique a fini par passer, on a arrêté, étouffé l'œuvre philosophique et littéraire de ce génie universel. Lacaze nous la révèle et nous admirons sa puissance et son actualité.

Le tome II continuera, avec les successeurs de Boucher de Perthes, l'étude des méthodes et des enseignements de la Préhistoire, et il essaiera de pronostiquer son avenir.

Les tomes III et IV étudieront la préhistoire, à travers toute l'histoire des arts et de la littérature universelle, depuis les Phéniciens jusqu'à nos jours. Les suivants présenteront les différentes cultures préhistoriques et ne négligeront aucun des grands ou petits problèmes soulevés dans l'immense domaine. Un dernier volume fermera savamment le cercle, rejoindra les Prolégomènes, montrera d'un sommet le panorama des temps actuels, établira 3e bilan de ce que nous devons au passé ancien ou récent, des progrès dont nous pouvons être fiers, des reculs dont nous devons rougir. Je crains un peu que l'homme de « l'Holocène » actuel, jugé avec équité, nous apparaisse plus « fossile » que le héros et l'artiste du pliocène.

Quoi qu'il en soit, voici la première aile d'un vaste et durable monument ; voici le hardi et puissant commencement d'une science nouvelle. Je suis heureux, reconnaissant et confus que l'amitié de l'architecte m'ait demandé d'inscrire mon nom sur la porte et de bavarder à l'inauguration : il me fait généreusement cadeau d'un peu de son inéluctable immortalité.

HAN RYNER.

A lire aussi :

Gérard de Lacaze-Duthiers "Ceux qu’on oublie : J.-H. Rosny jeune" (1948)

Pierre Massé "Figures d'aujourd'hui : J.-H. Rosny aîné" (1924)

Un précurseur : Élie Berthet et les romans préhistoriques

DOSSIER : J.-H. Rosny et Han Ryner (Henri Ner)

Gérard de Lacaze-Duthiers "Philosophie de la Préhistoire", préface de Han Ryner (Flammarion - 1931)Gérard de Lacaze-Duthiers "Philosophie de la Préhistoire", préface de Han Ryner (Flammarion - 1931)

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