J.-H. Rosny Jeune "La Carapace" (Calmann-Lévy - 1914)
"La Carapace" de J.-H. Rosny Jeune fut édité par Calmann-Lévy au premier semestre 1914. L'édition présentée est une reliure dans laquelle la couverture n'a, hélas, pas été conservée (j'ai rajouté le scan d'une dédicace, de J.-H. Rosny Jeune pour Gustave Geffroy, trouvée sur un site de vente).
Cette histoire, qui suit les aventures d'un romancier pris dans la tourmente du monde de la finance, est la suite de "L'Affaire Derive" (1909) et de "Sépulcres blanchis" (1913). On y croise aussi Labordel, que l'on retrouve dans d'autres roman de l'auteur.
Comme d'habitude, J.-H. Rosny Jeune fait de nombreuses allusions aux hommes-de-lettres : Balzac, Pascal, Hugo, Machiavel, Dickens, Baudelaire, Poe, Villiers de l'Isle-Adam, Molière, etc... :
"Si les idées venaient à volonté, comme l'effort musculaire, cela pourrait encore se soutenir, mais elles ne sont belles que d'être instables ; Poe et Musset furent de grands poètes ivrognes, il est vrai ; cependant, leur oeuvre, tronquée par leur vice, ne doit rien à l'alcool."
Le hasard a voulu que J.-H. Rosny Jeune cite, par anticipation, un de ses textes qui ne sera publié qu'en 1921 "La Faillite de la fausse science" :
"La crise des hommes austères... J'ai connu Vaubon... Tout à coup, après une vie de chien, travail, étude, intégrité, il ne quitte plus les tutus de l'Opéra... La voilà bien la faillite de la science !"
Quelques extraits :
"Qui manie les millions en papier perd le sens de ce que vaut ce papier, abus de l'abstrait analogue à celui de l'algébriste qui, jonglant avec les formules, s'éloignant de plus en plus de la réalité, aboutit au vertige... L'argent a son verbalisme éhonté comme la littérature... La folie du prestige de l'or se confond avec la folie du prestige des mots ; l'argent ne sait plus ce qu'il dit ; il se croit appelé à vivre pour lui-même, alors qu'il doit être un symbole attaché à des opérations réelles. Grand danger qui met la finance sur le pied des empereurs romains disposant d'une richesse colossale sans savoir ce qu'elle représente, jouant, à Rome, d'une légèreté d'enfant, avec la vie et la mort du monde."
"Auprès d'eux, Garibou est un héros des temps modernes, un prince des beaux-arts et des belles lettres, Mécène en personne. Vous arracheriez plutôt une livre de chair à Rétal que de lui faire acheter cette chose inutile, un livre, et Nivaret l'égalerait sur ce point s'il n'avait cédé à un commis voyageur et acquis une collection de Victor Hugo que l'or des reliures excusait à ses yeux."
"Les socialistes, les cégétistes, les anarchistes, fit Tirelent, me paraissent semblables à ces gens qui, successivement, essayèrent de porter à leur perfection la lampe Carcel, la lampe à pétrole, le gaz, et qui se voient toujours distancés par un éclairage nouveau [...] C'est une chose très amusante de les voir tués par ce progrès qu'ils préconisent à outrance. Ah ! si vous leur aviez laissé une bonne petite société du Moyen âge, la culture de la terre, des besoins et une production limités, ils se seraient tirés d'affaire en y adaptant les machines d'aujourd'hui. Lorsqu'ils parlent de la société future, ils entendent par là la société actuelles avec les machines, avec la science, avec les malices de demain ; ils oublient qu'une chose, c'est que ces machines, cette science, ces malices sortiront de la société de demain qu'ils ne connaissent pas plus qu'on ne connaissait la lumière électrique au moment où l'on perfectionnait la lampe Carcel. Ces raisons, et beaucoup d'autres, montrent l'erreur des révolutionnaires quand ils prétendent entrer dans la pratique et faire ce qu'ils appellent le bonheur du peuple par une organisation réelle : ils ne feront jamais que son malheur."
Commenter cet article