J.-H. Rosny aîné "Sur les sentiers du tendre" (Kemplen - 1924)
"Sur les sentiers du tendre" est, à ma connaissance, le seul roman de J.-H. Rosny aîné publié par les éditions Kemplen.
Paru dans la collection Les Conteurs Inédits, dont il porte le n°9, il n'indique aucune date.
D'après les annonces de publications retrouvées dans différents périodiques, sa sortie peut être située entre août et octobre 1924. Il n'y a aucune réédition connue à ce jour.
L'histoire en soi n'est pas des plus intéressantes, il faut le reconnaître... Par contre ce texte mérite que l'on s'y attarde un peu.
Tout d'abord, au fil des pages J.-H. Rosny aîné égraine quelques pensées, essentiellement sur la vie et la mort. Un sujet qui le taraude : "Le sentiment qu'il avait de la brièveté de la vie, de la déchéance physique, le regret de sa jeunesse, l'idée de la mort attristaient Rosny profondément (1)". Il disait même en 1929 : "Je suis au déclin de ma vie (2)". Quelques extraits :
- "Qu'est-ce que je suis venu faire ? Pourquoi ai-je jailli du sommeil immense ? Quelle nécessité de venir mourir, alors qu'il était si simple de ne pas vivre."
- "Injure du temps ! [...] Avec quel sombre dédain, les forces avilissent les sombres humains... Quel génie de la caricature s'acharne sur nos pauvres visages..."
- "Tout était résolu quand tu poussais ton premier cri. On te donnerait vingt siècles, tout de même le délai serait trop court. L'infamie, c'est de savoir. Pitoyable créature, quelle rançon ! Connaître avec cette certitude, et avec cette horeur la fin du drame !"
- "Il plana entre deux vides — celui d'hier, celui de demain — il sombra dans le trou noir de l'oubli."
Ensuite, J.-H. Rosny aîné transpose de nombreux éléments autobiographiques : la guerre de 1914-18, la crainte de ne pas voir revenir ses enfants partis au Front, l'arrivée de son petit-fils Robert de Kalinowski, futur R. Borel-Rosny, ses relations avec sa seconde femme Marie Borel...
- "Une chose épouvantable avait secoué le monde jusque dans ses entrailles. Pendant des saisons, Daniel [Rosny] connut une horreur qui semblait détruire à jamais la douceur de vivre... Son fils combattait ; Thérèse [Marie] soignait des réfugiés."
- "Longtemps, la guerre fut en lui comme un météore. Elle participait au goût de ses aliments, au rythme de sa marche, à la figure des rues et des nuages, elle le suivait dans son sommeil et se présentait à lui, dense et cependant flottant dès qu'il retrouvait sa conscience."
- "Une joie singulière entra dans le logis : Thérèse eut un enfant. Non pas un enfant issu d'elle et de Daniel, mais l'enfant d'un frère saisi dans la tourmente. Ils étaient allés le prendre à une portée de canon des ennemis, et il devint aussi cher à Thérèse que l'eût été un fils de ses entrailles."
- "Forces obscures ! songeait Daniel... Il a fallu que des millions d'hommes se massacrent pour qu'elle apprenne ce bonheur des bonheurs !"
- "Ils regardaient passionnément croître la petit structure blonde. Remuant, incessant, infini, Marc [Robert] ne se reposera pas un moment depuis le réveil jusqu'à ce qu'on le couche."
- "Non, nous n'avons pas conquis la planète, songea Daniel; le vent, le nuage sont toujours victorieux... la terre grondante est prête à engloutir les civilisations..."
- Des "fragments des obus de 75 tombait sur la chaussée" : "La mort tombe du firmament, chuchotait Daniel."
- L'armistice ? "Il parut subitement impossible que l'immense fléau eût pris fin." Pourtant "L'armistice doit être signé" : "Après quatre ans, criait-il. Est-ce possible..."
- "Quand il rentra chez lui, il trouva Thérèse qui tenait l'enfant sur les genoux et l'étreignait passionnément : — Tu ne sais pas ? cria-t-elle éperdue. Jacques se remarie... il croit que l'enfant sera mieux avec nous qu'avec eux... et il demande si nous voulons le garder... Tu veux, Daniel ?"
Dans "Chronobibliographie", Jean-Michel Pottier indique pour le 18 janvier 1912 : "Naissance, à Epinay-sur-Seine, du petit-fils de Rosny aîné, Robert de Kalinowski, fils d'Irmine Boex et du Comte Kalinowski." Il précise qu'en 1914, "quelques temps après la déclaration de la guerre, alors que tous ses enfants ont quitté le domicile familial, Rosny aîné doit prendre en charge son petit-fils Robert, âgé de deux ans à peine. Il se charge de son éducation, de sa formation. A 58 ans, Rosny aîné recommence le métier de parent".
J.-M. Pottier note aussi à propos de J.-H. Rosny aîné que "La Guerre constituera l'une des épreuves de sa vie : ses deux fils, Norbert et Paul, se battent au front [...] la vie de l'homme de lettre disparaît dans son Journal, pour laisser la place à l'angoisse et à la tristesse."
Autre indication, tendant à prouver cette transposition de la vie de l'auteur dans son roman : Daniel et Thérèse habitent rue de Rennes, tout comme Rosny et Marie....
Notons enfin la présence d'un personnage nommé "l'oncle Antoine" qui n'est pas sans rappeler "L'Oncle Antoine", un texte repris dans "La Mort de la Terre, suivi de Contes" (1912).
(1) Ève et Lucie Paul-Margueritte "Deux frères, deux sœurs" (1951)
(2) La révolution surréaliste n°12 du 15 décembre 1929
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