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J.-H. Rosny

J.-H. Rosny aîné "Le monument de Mickiewicz" (1912)

15 Décembre 2013, 16:17pm

Publié par Fabrice Mundzik

"Le monument de Mickiewicz", de J.-H. Rosny aîné, fut publié dans La Vie n°1 du 24 février 1912.

Le monument de Mickiewicz

A-t-il jamais existé une sympathie plus spontanée entre deux peuples que la sympathie qui lie la France et la Pologne ? Cette sympathie a subi les fluctuations naturelles à la faiblesse et à l'infirmité humaines : elle a persisté cependant ; il semble qu'elle traverse une de ses meilleures périodes, par la force, par la fraîcheur et par l'éclat.

Nous assistons avec un frémissement tendu à la lutte de l'âme polonaise contre ceux qui veulent l'anéantir ou la déformer. Cette douleur qui dure depuis plus d'un siècle, cette résistance qui use également la méthode et la violence, ces alternatives de révolte éperdue et de silence héroïque, cette patience indomptable — c'est à la fois la plus effrayante et la plus belle tragédie à laquelle les hommes aient assisté. Elle suffirait à nous faire chérir la Pologne. Mais d'autres raisons nous sollicitent, les raisons du cœur et les raisons de l'esprit, des vertus communes aux deux races, des mentalités qui s'ajustent autant par leurs différences que par leurs analogies, une même impulsion généreuse, une même chaleur d'idéal — et aussi, hélas ! des défauts comparables... Ajoutez, depuis 1870, des infortunes analogues, encore que la nôtre soit partielle et celle de la Pologne totale, ajoutez encore la durée de notre amitié, les profonds souvenirs qui nous lient et cette fidélité magnanime qui fit couler tant de sans polonais pour la cause française...

Des hommes se sont réunis, qui veulent symboliser par un monument notre sympathie pour la Pologne. Il leur a paru qu'il convenait de choisir un grand homme représentatif, héros ou poète, et qui fût aussi familier que possible au souvenir français. Il n'était pas nécessaire de réfléchir longtemps pour découvrir que le choix ne pouvait mieux se porter que sur Mickiewicz. Le superbe épique de Konrad Wallenrod, de A la Mère polonaise, du Livre des Pèlerins, a été des nôtres. Pendant plusieurs années, il professa au Collège de France à côté de ses amis Michelet et Edgar Quinet, il fut ardemment mêlé à l'étincelante pléiade de penseurs et d'écrivains, de poètes et d'orateurs dont nous admirons l'âme généreuse, si parfois nous regrettons leur confiance excessive et l'impétuosité de leurs rêves. Ce Mickiewicz qui nous aima infiniment et qui participa d'un cœur si chaud à l'effervescence intellectuelle et sociale de nos pères, se trouve être aussi un des plus grands, et beaucoup disent le plus grand des poètes polonais : ce sera un acte exemplaire de lui ériger un monument dans ce Paris où il vécut une grave et noble période de son existence.

En confiant cette œuvre difficile à Emile Bourdelle, le comité fut, ce semble, excellemment inspiré. Avec ce sculpteur de forte race, nous éviterons une de ces machines blafardes ou dérisoires qui attristent nos rues, nos places et nos jardins. Le magnifique statuaire ne se bornera pas à nous tailler quelques belles figures, il saura les grouper selon le grand art de l'architecte, il saura tirer des lignes une harmonie supérieure et une profonde synthèse.

De bonne heure, Bourdelle aima Mickiewicz. Chez Mme Michelet, dont il était presque le pupille, d'illustres causeurs lui firent partager, à l'âge où les impressions s'éternisent, leur admiration pour la Pologne et le poète. Il connaît Konrad Wallenrod, « les chants, les hymnes, les cris admirables », et la hauteur de l'inspiration et la pureté fervente de Mickiewicz ; il a conçu l'horreur des destins asphyxiés, des exils noirs, des mines homicides, et des épouvantables toundras.

De ses souvenirs et de ses lectures, Bourdelle tirera d'étonnants bas-reliefs, tels les Trois Polognes, les Exilés, etc., etc. ; des figures exaltantes comme le Grand Archange, aux ailes déployées dans un mouvement extraordinaire de force et de rythme, le Grand Archange, génie de la Pologne héroïque qui jadis mit « un mur de glaives et de héros » entre l'Europe et les envahisseurs barbares.

Au haut du monument, le héros et pèlerin, symbole de l'âme errante de la Pologne, symbole aussi de Mickiewicz exilé, voyageur perdu sur les routes du monde, de Mickiewicz prophète élevant la main « comme une torche de lumière, et qui ne bénit, qui annonce ».
Voici d'ailleurs comment Bourdelle conçoit essentiellement son œuvre :

« Je dois aller au cœur même de la cause et du but. Le symbole de qualité du talent du poète est l'épopée. Mon monument doit donc manifester, avant tout, une impression d'épopée, d'épopée en marche. Je vois, ensuite, la qualité particulière de cette épopée, la qualité qui caractérise ce pays de martyrs tenaces. Enfin, il faut faciliter au public la compréhension immédiate du sujet, et pour cela je recherche passionnément la clarté des lignes. Elle se traduira par le côté architectural du monument : car ce qui différencie un monument d'une statue, c'est qu'il doit être, avant tout, une architecture ; il doit se subordonner à une loi architecturale. »

Bourdelle tient énergiquement à cette dernière idée. Il pense, avec raison, que la plupart des monuments sont conçus d'une manière incohérente : l'ensemble est sacrifié à l'anecdote, le but s'éparpille, l'artiste ne conçoit et ne réalise que des figures lâchement groupées, dépourvues du grand rythme qui enchante le spectateur, comme une symphonie de Beethoven ; tout monument devrait réaliser ce que réalise l'émouvant haut-relief de Rude. Bourdelle veut que les contours s'associent, il veut que « les plis se rassemblent par groupes, et que les groupes de plis se distribuent par étages de plans ».

Aucun détail n'échappera à l'ensemble, le moindre doit concourir à la mesure qui fait du monument un être d'art, ayant sa destinée propre, et différent de l'homme ou des agglomérations d'hommes qui lui ont servi d'inspirateurs.

C'est l’œuvre du génie que de concilier l'exactitude et le caractère de chaque figure avec la plénitude et la splendeur du tout. Emile Bourdelle est de taille à la réaliser. Il a la force qui surmonte l'obstacle, l'imagination qui anime et diversifie, l'intelligence qui ordonne et l'originalité qui crée.

J.-H. Rosny aîné.

D'abord annoncé pour 1909, puis dans ce texte de J.-H. Rosny aîné en 1912, le "Monument à Mickiewicz" sera finalement inauguré le 28 avril 1929.

Emile Bourdelle fut en fait chargé dès 1907, par la Pologne, "d'immortaliser la mémoire du grand patriote Adam Mickiewicz, il représenta l'homme, pèlerin de son ardente foi, drapé d'un long manteau, appuyé sur le lourd bâton du voyageur, la main levée pour prêcher son évangile d'indestructible espoir. Sur le socle, une vierge guerrière brandissant un glaive à deux mains rappelait la défense polonaise. Cette Défense est la soeur héroïque de la Marseillaise de Rude", précise L'Archer n°1 de janvier 1930.

Audré Chaumeix "La Mission de la Pologne" in Le Figaro n°119 du 29 avril 1929 :

"Il y avait hier, dans les fêtes célébrées en l'honneur de Mickiewicz, à la fois de l'émotion, de la dignité, de la gravité. Une nation illustre qui a subi de terribles épreuves et qui ressuscite, c'est un de ces coups du sort qui ont de longs retentissements.

L'hommage à Mickiewicz, c'est surtout le souvenir d'un patriote enflammé qui n'a jamais douté des destinées de son pays aux heures sombres de son histoire."

J.-H. Rosny aîné "Le monument de Mickiewicz" in La Vie n°1 du 24 février 1912

J.-H. Rosny aîné "Le monument de Mickiewicz" in La Vie n°1 du 24 février 1912

J.-H. Rosny aîné "Le monument de Mickiewicz" in La Vie n°1 du 24 février 1912

J.-H. Rosny aîné "Le monument de Mickiewicz" in La Vie n°1 du 24 février 1912

J.-H. Rosny aîné "Le monument de Mickiewicz" in La Vie n°1 du 24 février 1912

J.-H. Rosny aîné "Le monument de Mickiewicz" in La Vie n°1 du 24 février 1912

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