Joseph Altairac - Café, SF, et assimilé (même de très loin…) n°79
C'est avec une grande joie que je vous propose la lecture d'un des excellents billets du matin que Joseph Altairac publie sur Facebook.
J'ai déjà eu l'occasion de vanter cette chronique matinale, ô combien délicieuse et instructive, et c'est un véritable plaisir que d'accueillir Monsieur Altairac sur ce Blog dédié aux frères J.-H. Rosny.
Café, SF, et assimilé (même de très loin…) n°79.
Poésie et préhistoire
Que faire, le matin d’un lundi de Pâques, après un bon café ? Se rendre sur une brocante parisienne en quête d’œufs de dinosaures et/ou de documentation, bien sûr !
À la demande générale du savanturier Fabrice M., dont je respecte l’anonymat pour de bien compréhensibles raisons de confidentialité, je vais un peu détailler l’une de mes trouvailles d’hier (l’une, car il y en a deux ou trois autres, assez croquignolesques, et je sens que j’évoquerai bientôt une fort énigmatique histoire de trésor inca, à la demande particulière d’un autre clan de savanturiers).
Ma foi, c’est une belle pièce ! On va se moquer de moi, mais je doit confesser que je n’avais JAMAIS entendu parler de ce volume, alors je me vante souvent de mes connaissances en matière de poésie préhistorique, durement acquises au prix de feuilletages intensifs qui ont poli les extrémités de mes doigts à l’instar des outils en pierre de la période préhistorique correspondante (cette phrase est un peu alambiquée, mais elle a une sorte de cohérence, si l’on veut bien faire un effort d’attention).
« Poèmes de la Genèse » suivi du « Chant de la Vie », par Jean Léger.
Format 21X28, cet ouvrage broché est orné de superbes bois gravés de Max Bugnicourt (vingt-cinq, tout de même), dont les images scannées donneront un aperçu.
Ce recueil a été édité par les Éditions du Bon Plaisir, à Toulouse, en 1923. Et comme le savanturier Fabrice M. a été ici évoqué, il n’est pas difficile de deviner le nom du préfacier… Par un effet de ma bonté, je retranscris l’intégralité de ce texte, assez court (il y aurait une anthologie de préface de Rosny à composer et annoter…) :
« Pour l’homme moderne le temps et l’espace terrestres, l’histoire, la légende se rétrécissent étrangement. Il semble qu’on ait tout épuisé. Et la terre est devenue si petite… elle qui paraissait sans limites aux anciens !
Bientôt, les avions franchiront l’Atlantique, ils passeront d’Europe en Amérique entre le lever et le coucher du soleil, plus vite peut-être. Dans dix, vingt ans, on fera le tour de la planète en deux ou trois jours, et peut-être en vingt-quatre heures…
Le sans-fil relie aux continents les navires perdus dans la mer des Sargasses ou dans l’Océan Glacial… Chaque année on détruit un coin de forêt sauvage ; chaque année, les bêtes sauvages diminuent, exterminées par le roi féroce du monde… Plus d’autres aventures que les aventures de l’homme et des cités…
Cependant l’imagination cherche avidement à retrouver les grands espaces et les longues durées. Alors, elle se réfugie dans les astres, elle cherche les habitants de Mars, de Vénus, voire de Jupiter. Mais ces êtres ne sont vraisemblables que s’ils diffèrent profondément des hommes et des bêtes qui vivent sur la planète, et par là ils nous intéressent peu.
Cent ans de romans historiques ont épuisé les siècles connus. On cherche au delà, dans le mystère des Origines ; on trouve les hommes de la préhistoire qui ont laissé dans le sol des traces si émouvantes de leur passage.
C’est un monde nouveau pour les poètes et pour les conteurs, un monde où l’on peut faire de beaux rêves et tisser de merveilleux récits — un monde qui a duré vingt, cinquante, cent fois autant que notre petit monde antique et moderne…
Il vous a plu d’y déployer votre fantaisie et vos songes, mon cher confrère. Vous avez tiré des visions pleines de charme et de magnificence qui feront les délices de vos lecteurs.
Je me borne à vous dire les émotions profondes et douces que je dois à votre beau livre, et à lui souhaiter le succès très vif et très durable qu’il mérite.
J.-H. Rosny Aîné, de l’Académie Goncourt »
Court, mais chargé de sens. J’attire l’attention des amis du billet du café du matin, et plus particulièrement celle des savanturiers, sur ce passage :
« Cependant l’imagination cherche avidement à retrouver les grands espaces et les longues durées. Alors, elle se réfugie dans les astres, elle cherche les habitants de Mars, de Vénus, voire de Jupiter. Mais ces êtres ne sont vraisemblables que s’ils diffèrent profondément des hommes et des bêtes qui vivent sur la planète, et par là ils nous intéressent peu. »
Comme c’est l’auteur des « Xipéhuz » (1887) et le futur auteur des « Navigateurs de l’Infini » (1925) qui s’exprime là, on comprend bien que le « ils nous intéressent peu » ne reflète nullement le sentiment de Rosny, mais désigne celui de la grande majorité du public. C’est une appréciation lâchée à regret quant à la pusillanimité des lecteurs, dont on sent bien que Rosny la regrette. On voit aussi que ce grand esprit rejette la tentation de l’anthropomorphisme, quand il s’agit d’évoquer d’éventuels habitants d’autres planètes. Mais si le public ne suit pas…
Il est bien question de poésie paléontologique et préhistorique dans « Poèmes de Genèse », et pas qu’un peu. Qu’il me suffise de citer les titres des différentes parties, constituant chacune un groupe de poèmes caractérisés par leur thématique commune : « La Genèse », « Les Âges », « L’Homme » et « Poèmes préhistoriques ». On y voit défiler mégalosaures, ptérodactyles, paléotheriums, nothosaurus, ichthyosaure (c’est l’orthographe adoptée par Jean Léger), plésiosaure, et j’en passe. Comme de bien entendu, les deux derniers cités s’y livreront à leur traditionnel crêpage de chignon aquatique, régulièrement immortalisé par les illustrateurs de dizaines d’ouvrages de vulgarisation paléontologique. Les hommes préhistoriques, bien sûr, ne sont pas oubliés, et Rosny a dû esquisser un sourire, flatté, en lisant l’« Hymne au Feu ».
Hum, pas trop réveillé, ce matin… Je me demande comment les hommes préhistoriques faisaient, eux qui ne connaissaient vraisemblablement pas le café. À moins que des découvertes nouvelles ne viennent infirmer cette hypothèse…
Oncle Joe
Source : Article original sur Facebook (reproduit avec l'accord de Joseph Altairac)
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