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J.-H. Rosny

Anonyme "Hossegor : Comment on sauve un site" (1924)

7 Décembre 2013, 11:24am

Publié par Fabrice Mundzik

"Comment on sauve un site", est le titre d'un article anonyme publié dans La Revue du Touring-Club de France d'octobre 1924.

Hossegor au nom flamboyant est un des sites les plus remarquables de la Côte d'Argent landaise et de toutes les rives européennes, tant par l'intense poésie d'apaisement qui se dégage de ses eaux et de ses forêts que par sa topographie tout à fait exceptionnelle.

C'est un « lac marin », en réalité un petit golfe extrêmement curieux qui s'étale, voluptueux, parallèlement à la mer océane dont il n'est séparé que par environ 800 mètres de dunes boisées de vieux pins et de vieux chênes-lièges quasi centenaires, avec des sous-bois emplis, aux diverses de saisons, genêts, d'arbousiers, de mimosas, de bruyères argentées. Long de deux kilomètres seulement, large de 400 mètres à peine, il est relié par un canal maritime de 1 km de long sur 100 mètres de large, au petit fleuve le Boudigau, presqu'au confluent de ce dernier avec la délicieuse petite rivière le Bouret, à une encablure à peine de l'endroit où le Boudigau se jette dans l'Océan, entre Capbreton-plage et Hossegor. Il reçoit donc les pulsations des marées, mais à l'abri des grands vents du large.

Du sommet des dunes qui bordent, à l'ouest, le littoral de ce site enchanteur on découvre l'immense panorama de cette partie méridionale de la Côte d'Argent avec, au sud, la splendeur estompée de tout le fond du golfe de Gascogne dominé par la Rhune et les monts cantabriques. Biarritz est à peine à une vingtaine de km dans cette direction.

Hossegor était jadis un lac sans communication avec la mer ; mais un jour de tempête il y eut contact, communion, ainsi que Maurice Martin l'a chanté dans son livre le Triptyque récemment couronné par l'Académie française :

Mais la mer toute proche un jour devint jalouse

De ce joyau serti dans l'ombre et la clarté,

Qu'embaumaient le genêt, la bruyère et l'arbouse.

Grâce au labeur d'Eole, à sa complicité,

Du beau lac d'Hossegor elle devint l'épouse,

Et le golfe naquit de cette volupté.

Il y a une trentaine d'années, peut-être même un peu plus, un peintre amateur fort distingué, M. de Gaujac, ancien officier de cavalerie, vint s'établir à Hossegor un peu en ermite, séduit par cette sauvage beauté. Il y acheva ses jours après en avoir été ainsi le premier habitant de marque, parmi quelques pêcheurs indigènes. Entre temps, au début de ce siècle, J.-H. Rosny jeune, de l'Académie Goncourt, vint à son tour s'y installer, charmé, lui aussi, par l'apaisante sérénité de ces paysages privilégiés faits de deux ravissants cours d'eau, d'un lac marin unique en son genre caché dans la forêt embaumée, tout à côté du sauvage océan. Il y attira quelques amis, des écrivains, des artistes, parmi lesquels Paul Margueritte, qui y mourut il y a quelques années, Maxime Leroy, Charles Derennes, etc. Il y reçut des visites émues d'admirateurs de ce site incomparable, notamment de d'Annunzio. Bref, Hossegor devint bientôt le lieu d'un cénacle littéraire.

Or, qu'advint-il il y a trois ans ?

La municipalité de Soorts dont dépend Hossegor annonça qu'elle allait, vu la vieillesse des arbres, procéder à leur abattage !

Notre ami Maurice Martin qui avait connu Hossegor au temps de M. de Gaujac et qui y fréquentait assidûment chez Rosny, s'émut, en grand ami des arbres et des paysages de France qu'il est, de ces projets assurément regrettables. Il fit part de ses angoisses d'artiste à M. de Lapasse qui était alors conservateur des Eaux et Forêts à Bordeaux et entreprit même une campagne de presse en faveur d'Hossegor. M. de Lapasse et lui n'eurent pas de peine à faire comprendre à l'intelligente Municipalité de Soorts qu'elle allait faire fausse route en détruisant une sylve qui, en réalité, n'avait, à cause de sa vétusté, qu'une valeur marchande bien relative, alors que, précisément pour cela, elle avait une valeur pittoresque et par conséquent touristique exceptionnelle. Avec un bon sens dont il convient de les féliciter, M. Lahary, maire de Soorts et son conseil municipal revinrent sur leur précédente intention et, d'un commun accord, on décida de respecter, tout au moins des deux côtés du canal et sur les bords du lac, un rideau d'arbres d'une cinquantaine de mètres d'épaisseur.

Cependant qu'allait-il advenir des autres arbres ?

C'était toujours la menace de l’abattage.

C'est alors que Maurice Martin intervint définitivement. Sachant qu'il avait existé précédemment des projets de construction d'une station estivale et hivernale à Hossegor, ayant même cru comprendre que la commune avait l'intention de tenter seule cette délicate et considérable entreprise, ce qui eut fatalement abouti pour elle à abattre des arbres en grand nombre pour se procurer les ressources nécessaires pour l'édification d'un pont de 100 mètres sur le canal et la mise en chantier de plusieurs km de routes modernes, notre ami offrit de rechercher lui-même les moyens pratiques de créer la ville nouvelle tout en sauvant l'incomparable site.

Après des démarches administratives sans nombre extrêmement compliquées, notamment par ce fait que ces forêts étaient en grande partie placées sous le régime forestier, il réussit à constituer une première société d'études, puis une société définitive dont le nom seul indique le but touristique : Société immobilière artistique d'Hossegor.

Ainsi se crée en ce moment sur le littoral français une station nouvelle dont le plan d'ensemble est non moins nouveau, avec des villas serties en pleine forêt et des routes où la banale ligne droite est soigneusement évitée. Il n'est pas jusqu'aux noms des futurs boulevards qui ne soient intéressants avec leurs évocations d'hommes qui furent célèbres dans l'histoire pittoresque des Landes et celles de fleurs et d'oiseaux du pays.

Par une pensée qui nous touche, notre association elle-même y figurera dans le baptême du principal boulevard. [Note : il existe bien une Avenue du Touring Club à Hossegor]

Du même coup sauver un des plus beaux sites de France d'une dévastation quasi-totale et y créer un pittoresque lieu de tourisme sur des plans esthétiquement conçus, alors que tant de stations ont connu à leur naissance de lamentables erreurs d'établissement qui ont si lourdement pesé sur tout leur avenir, voilà qui assurément méritait d'être signalé.

Anonyme "Hossegor : Comment on sauve un site" in La Revue du Touring-Club de France d'octobre 1924

Anonyme "Hossegor : Comment on sauve un site" in La Revue du Touring-Club de France d'octobre 1924

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