J.-H. Rosny Jeune "La Désirée" (Ferenczi - 1932)
Cette édition du roman "La Désirée" de J.-H. Rosny Jeune est la deuxième. Publié, à l'origine, par la Nouvelle Revue Critique, il fut republié en juin 1932 par les éditions Ferenczi dans la collection Le Livre moderne illustré dont il porte le n°152.
Il s'agit, de nouveau, d'une grand histoire passionnelle, dans laquelle nous retrouvons des allusions au monde littéraire :
"Quand le roman n'existerait nulle part ailleurs, il existerait toujours pour les amoureux. Car le roman commence avec le sacrifice de la vie, et qui n'a pas senti au moins une fois dans son existence que la mort lui serait plus douce que certains renoncements."
"— En un mot, tu l'aimes... Stendhal appelle cela de la cristallisation!...
— Ce n'est qu'un mot, dit Jan, Suffit-il à exprimer un état si complexe de l'être... Nos pères avaient mieux vu avec leur prédestination, parce qu'il se trouve toujours dans l'amour quelque chose d'extérieur à nous-mêmes, ou, du moins, d'inconscient... Une longue animalité survit dans l'homme : le secret de l'amour devient ainsi le secret de l'univers...
— Trébuchet, a dit Schopenhauer ; piège tendu par la nature !.."
Une allusion à Jean de La Fontaine se trouve dans le passage suivant : "Le bout de l'oreille passerait, comme dans la fable française de l'âne vêtu de la peau du lion..."
Une scène décrit un lieu, le comparant à Hyde-Park, Hampstead ou Bethnal Green. Lieux que l'on retrouve habituellement dans les textes de J.-H. Rosny aîné.
Un texte peu intéressant, il faut bien le reconnaître, néanmoins le dialogue entre deux personnages de ce roman, dont un évêque, mérite d'être cité in extenso :
"Aujourd'hui, si l'on essayait de faire un tri, on s'apercevrait que ce sont les savants qui fournissent le plus d'arguments contre cette théorie dont Haeckel disait qu'elle devait servir à juger les cerveaux !...
— On a surtout détruit le Darwinisme.
— En attendant le reste... Les pauvres diables qui s'opposèrent au Darwinisme, au moment de sa plus grande expansion, n'arrivaient guère à fournir des arguments solides ; mais les savants, en prouvant avec un grand luxe d'arguments la fausseté d'une théorie qui reçut d'abord un si bel accueil, devraient bien aujourd'hui excuser les ignorants de n'y avoir pas cru quand elle s'appuyait sur tout ce que les Académies du monde entier renfermaient de plus grands noms. Un des plus hauts principes de la science devrait être, à mon avis, qu'il n'existe pas de science au-dessus de l'homme. Je ne sais pas encore très bien si le Darwinisme fut ou non une erreur ; ce que je sais, c'est que cette théorie-là, comme toutes les autres, devait arriver en son temps... A précipiter les plus heureux concepts, on froisse sans avantage les cœurs et les esprits... Est-ce d'hier que nous savons l'histoire de la terre qui tourne autour du soleil ? Hipparque l'enseignait il y a deux mille ans ! Et pourtant, il a fallu bon gré mal gré vivre sur le système de Ptolémée, sur un soleil, des planètes et des étoiles tournant autour de la terre. Absurdité qui s'adaptait mieux à notre vision que la vérité, et qui nous a tout de même servi dans la pratique. Nos anciens ont connu le ciel et appris à se diriger sur un beau mensonge !... Du point de vue moral et religieux, ceci trouve une application immédiate... Au seizième siècle, un capitaine de navires refusant de se guider sur la position des étoiles dans l'écliptique, sous prétexte que le principe de l'astronomie n'était pas clair, se serait jeté sur les écueils !
Jean leva un regard surpris... Encore tout frais de sa science d'université, il avait eu d'abord quelque dédain pour la science usée de son oncle. Et voilà qu'une pensée originale se dégageait de ce qu'il appelait tout bas le jargon théologique...
— Le seul malheur d'une nation, reprit doucement Plyha, serait de faire fi d'un facteur aussi considérable que l'esprit religieux, avant même de savoir ce qui s'y trouve... Ferez-vous comme le capitaine dont je parlais plus haut ? Jetterez-vous le navire sur les récifs ?
— Nous ne pouvons pas nous empêcher, mon oncle, de repousser l'erreur au fur et à mesure que nous l'apercevons.
— C'est juste, mais l'apercevez-vous avec assez de modestie... Il y a plus de trois cent cinquante ans qu'un principe rationnel fut proposé pour servir de base à l'esprit humain... S'il n'a pas encore réussi à s'emparer des cerveaux, c'est que le cerveau se forme d'un passé dont vous ne pouvez faire table rase... Le succès des doctrines spirites, même auprès de nos savants les plus distingués, montre, pour le moins, ce que vous appelé une survivance... Qu'on pense avec des dogmes comme on a pensé avec des dieux et avec des symboles, cela n'est guère surprenant, et plutôt faudrait-il s'étonner qu'on ait confondu une manière de penser avec le fondement même de la pensée... La religion a posé ce fondement avant la science, de même que l'unité de Dieu fut la matière des grands philosophes chrétiens avant que l'unité des phénomènes ne devînt le principe moderne de la connaissance... La matrice de cette unité se trouvait déjà établie dans la tête de l'homme avant qu'il fût question de la chose. L'absorption des dieux-phénomènes, des dieux-facultés, des dieux-manifestations sociales par un seul Dieu créateur, se trouvait réalisée lorsque la gravitation vint absorber l'univers pluraliste des Anciens... Qui vous dit, — en admirant la puissance du divin, — que la philosophie réaliste de nos jours n'ait pas encore quelque chose à prendre là...
— Je ne m'y oppose pas, mon oncle...
— A la bonne heure... Seulement, à votre âge, il arrive qu'on prenne une tolérance de fait pour une tolérance d'esprit... Votre respect nous écarte... Vous nous saluez et cela vous évite de nous répondre...
— Ajoutez, pour être tout à fait juste, mon oncle, que nous avons été à rude école... Une race brimée a nécessairement cherché sa voie parmi les épines...
Monseigneur de Zdiar eut un sourire paternel :
— Ne nous égarons pas... Je ne parle que de philosophie... Pour le reste, mon cher Jan, je connais tes états de service, et j'en suis fier. On peut bien souhaiter que des jeunes gens comme nos jeunes gens aient une vive compréhension des réalités, ces réalités étant parfois ce que vous appelez des chimères...
— C'est la première fois qu'on me parle ainsi, murmura Jan. Il me plaît que ces idées si fortes et si justes me viennent du propre oncle de ma mère... Si je saisis bien, monseigneur, vous préconiseriez une trêve dans les jugements trop hâtifs du siècle, afin de permettre à l'avenir de nous départager... Ce serait la tolérance dont on nous parle trop sans en faire d'autre application que dans la pratique de la vie...
— Voilà bien, en effet, ma pensée, cher enfant... Mais il y manque quelque chose, et, sans doute, cette conversation austère tombant sur ta fatigue ?...
— Mais non, mais non, je vous écoute avec joie... La tolérance de fait et de pensée ne vous suffit pas ?...
— Elle suffit en tant que méthode; elle ne remplit pas la mission que je voudrais lui donner et qui est d'envisager les créations de l'avenir... Matière délicate entre toutes.
— Réserver l'idéal ! s'écria Jan.
— Mieux encore, savoir ceci : l'avenir est fait avec les laissés-pour-compte de la raison... Respectons donc le tâtonnement obscur de l'espérance religieuse..."
Commenter cet article