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J.-H. Rosny

Alexandre Ananoff "Plaidoyer pour L'Astronautique" (1945)

13 Novembre 2013, 15:09pm

Publié par Fabrice Mundzik

L'Aérophile, la revue d'aéronautique la plus ancienne du monde, a publié dans son numéro de septembre 1945 "Plaidoyer pour L'Astronautique" de A. Ananoff.

Cet article, même s'il ne cite pas J.-H. Rosny aîné et n'indique pas qu'il est l'inventeur du terme "astronautique", est tout de même illustré par une photographie qui rattrape allègrement ces oublis.

Il y a une erreur dans la légende, comme l'indique un correctif publié dans le numéro suivant. Il faut lire :

De gauche à droite : Henri Chrétien, J.-H. Rosny aîné, Charles Maurain, Jean Perrin, Léon Gaumont, Général Gustave Ferrié, Rodolphe Soreau, Eugène Fichot, Emile Belot Assis : Robert Esnault-Pelterie, André Hirsch

Alexandre Ananoff "Plaidoyer pour L'Astronautique" in L'Aérophile de septembre 1945

Alexandre Ananoff "Plaidoyer pour L'Astronautique" in L'Aérophile de septembre 1945

Plaidoyer pour L'Astronautique

par A. Ananoff

Née du désir des hommes de conquérir l’espace, l'Astronautique, malgré la grandeur du but visé, n'aurait aucune raison d'arrêter notre attention si elle ne reposait sur des données sérieuses et si l'expérience ne venait la protéger contre ceux— trop nombreux encore — qui pensent que tout le problème repose sur l'imagination d'un Cyrano ou d'un Jules Verne.

L'Astronautique, problème complexe autant que complet, puisqu'il englobe toutes les branches du savoir humain, ne doit pas être ignoré à une époque aussi fertile en découvertes, et encore moins critiqué à tort et sans raison parce que le but qu'elle vise dépasse la sphère de notre domination terrestre.

Ceux, par contre, qui condescendent à admettre nos théories comme plausibles ne manquent jamais d'émettre des objections quant à leur réalisation pratique.

Le froid des étendues cosmiques les effraie, la vie en espace clos leur paraît insoluble, la résistance des matériaux aléatoire, la présence de l'atmosphère un obstacle insurmontable ; enfin, pour tout dire, le voyage lui-même un miracle.

Pourtant, le bon sens nous commande de ne pas la condamner « a priori », sans l'avoir examinée en ses moindres détails, sans avoir regardé en face les obstacles qui s'opposent encore à sa réalisation et fait l'inventaire des moyens en notre pouvoir.

Si les hommes, abandonnant pour quelque temps leurs occupation égoïstes, voulaient collaborer de toutes leurs forces, avec tous leurs moyens, à l'accomplissement du premier voyage cosmique ; si, enfin ils voulaient prêter une oreille attentive au plaidoyer de quelques rares initiés, l'Astronautique ne tarderait pas à voir le jour.

Hélas ! tous les efforts sont dispersés, les bonnes volontés combattues ; nul ne songe à ce que l'Astronautique pourrait nous donner ; nul ne veut même le savoir.

Jamais on ne voudra admettre l'utilité du problème tant que les astronomes n'auront pas affirmé que la Lune est une mine inépuisable de richesses, que l'or et le platine s'y trouvent en abondance à même le sol. Alors, mais alors seulement, les Sociétés se fonderont pour l'exploitation de notre satellite ; les banques ouvriront leurs coffres ; les financiers se poseront en mécènes ; quelques années à peine suffiront alors pour la réalisation du problème.

« Il faut — m'a-t-on dit un jour — que les recherches visent un but utilitaire pour être financées ! » Qu'entend-on par « utilitaire » ? Est-ce la destruction plus perfectionnée, plus rapide de notre humanité ? Je n'ose le croire !

Quoi qu'il en soit, il nous est permis, dès à présent, d'affirmer que nos connaissances actuelles nous donnent la certitude que le problème de la navigation interastrale est théoriquement possible et que s'il s'agit simplement de lancer vers l'espace un projectile inhabité sans espoir de retour, il n'est pas douteux que le problème soit dès à présent réalisable.

De telles affirmations ne sont pas émises à la légère, et la présente rubrique se prescrit pour tâche de démontrer, par l'exposé des diverses recherches, quel puissant intérêt s'attache à son étude et combien nous sommes près de la solution pour peu que les hommes veuillent bien s'en donner la peine.

Certes, j'entends bien que la seule idée d'une randonnée dans l'espace a de quoi bouleverser l'esprit, surtout lorsqu'on établit le rapprochement avec les performances aéronautiques. En effet, tandis que l'avion ne peut prétendre dépasser quelques kilomètres d'altitude, l'astronef, lui, devra parcourir 384.000 kilomètres s'il désire atteindre la Lune, et près de 76.000.000 de kilomètres s'il vise la planète Mars. C'est là, certes, une différence très appréciable et qui ne manque jamais de frapper l'imagination... Mais il ne faut pas oublier que s'il y a une différence entre les distances, il y en a une plus grande encore entre les procédés utilisés.

Les astronautes ont toujours prétendu que si le problème devait être réalisé un jour, il ne pourrait l'être sans le secours du moteur à réaction.

En lui réside la base de tout le problème, car il est le seul capable non seulement de fonctionner, mais encore de se mouvoir indépendamment du milieu ambiant.

Si nous sommes amenés, aujourd'hui, à parler d'Astronautique, c'est que apparition dans les ciels de guerre d'engins du type V-2 a replacé question à l'ordre du jour, car, précisément, la torpille auto-propulsive à grand rayon d'action fonctionne sur le même principe que celui préconisé par les astronautes.

Mais hâtons-nous de dire que si l'usage d'un tel moteur s'est étendu aux besoins meurtriers, les astronautes n'y sont pour rien : ils n'ont jamais visé qu'un but pacifique et s'ils savaient, il y a trente ans, que la fusée seule pouvait leur prêter une aide efficace, ils n'étaient pas non plus sans ignorer que cette même fusée pouvait servir avec profit les deux causes en constante opposition : celle de la Paix tout comme celle de la Guerre.

Ils savaient également qu'aussi bien en Amérique qu'en France, en Russie qu'en Allemagne, il existait des hommes pour lesquels l'Astronautique pure était le seul but à atteindre, et qui s'étaient prescrit pour première étape la mise au point d'un moteur réactif puissant capable par ses performances de créer un mouvement en faveur de l'idée qu'ils servaient. Aussi leur indignation fut-elle sincère en voyant leurs recherches servir à d'autres fins que celles auxquelles ils les destinaient.

Qu'on n'accuse surtout pas les astronautes d'avoir contribué à rendre la guerre plus meurtrière, car s'ils ont toujours désiré le triomphe du moteur à réaction, ce n'est, en tout cas, pas à la faveur d'un conflit.

A présent, ce triomphe est acquis, mais au prix de quels sacrifices !

Si nous croyons indispensable d'insister sur ce point, c'est que, pour bon nombre de personnes, l'Astronautique n'a été créée de toutes pièces que pour la poursuite secrète des recherches pour la guerre.

Si l'on y réfléchit, on voit combien une telle idée est absurde, le bon sens se refusant à croire qu'un tel mouvement tende à cet unique but.

On ne peut admettre qu'un Hohmann se soit donné la peine de calculer les trajectoires cosmiques, qu'un Oberth se soit préoccupé avec une minutie remarquable à déterminer les moindres détails de son astronef, qu'un Ziolkowsky ait consacré le plus clair de son temps à étudier les péripéties d'un voyage cosmique ; qu'un Esnault-Pelterie, dont le nom nous est familier à tous, ait rallié en 1927, à son idéal, des hommes tels que Jean Perrin, Fichot, Ferrie, Maurain, Esclangeon, Baillaud et tant d'autres encore, — et créé, en collaboration avec André Hirsch, le Prix International d'Astronautique, — tout cela pourquoi ? Pour élever un paravent derrière lequel, en toute quiétude, leur pays respectifs aient pu poursuivre leurs travaux pour la guerre ?

Il était inutile de fournir une telle somme de travail, un tel effort intellectuel de provoquer le concours de tant d'éminentes personnalités, créer de toutes pièces une science aussi complexe que l'Astronautique pour dissimuler l'application du moteur à réaction aux besoins militaires, — excès de prudence bien inutile, car tous savent que l'usage remonte à la plus haute antiquité.

Le monde est ainsi fait, et la propagande, les articles, les conférences, les cours cent fois répétés firent moins pour l'Astronautique que l'apparition d'un seul V-2 !

Si l'Astronautique ne devait naître que pour la guerre, dès la fin de celle-ci elle aurait dû disparaître, ayant rempli sa mission. Or, que voyons-nous ? L'Astronautique s'imposer d'elle-même dans l'esprit des plus réfractaires, grâce à la preuve tangible qui en a été faite des possibilités extraordinaires du moteur à réaction directe.

Nous avons dit plus haut que l'Astronautique était une science complète.

En effet, elle intéresse presque toutes les branches du savoir humain, et sa solution définitive se rattache intimement aux progrès successifs pouvant s'accomplir dans chacune des branches intéressées.

Sans vouloir ici donner une énumération détaillée des divers points intéressant la navigation cosmique, rappelons quelques-uns d'entre eux, parmi les plus importants :

PHYSIQUE

Atomistique, transmutation des éléments, radioactivité, communications électromagnétiques avec le globe terrestre pendant le trajet, emmagasinage d'une réserve d'énergie, télescope utilisable sur une base instable, etc.

CHIMIE

Conservation d'une atmosphère respirable en espace clos, élimination des excreta gazeux, préparation et conservation de l'hydrogène atomique, etc.

MÉCANIQUE

Construction du véhicule, commandes d'orientation et de direction, parachute d'atterrissage, appareils de navigation interplanétaire, etc.

MÉTALLURGIE

Alliages extra-légers de calcium et, probablement, plus spécialement de Glucinum (Béryllium), etc.

PHYSIOLOGIE

Action des variations du champ gravitant sur l'organisme, etc.

Ce bref exposé est suffisamment explicite par lui-même pour qu'il soit utile d'insister sur l'importance d'une collaboration étroite entre les divers spécialistes, et sur l'intérêt qu'il y aurait à créer un Centre de Recherches Astronautiques.

Ce n'est pas sans une certaine peine que je constate que si ma suggestion, au moment où je l'émets, fait partie du domaine des projets, il n'en est pas de même à l'étranger où de tels Centres existent et fonctionnent depuis 1927.

Mais, à défaut d'un Centre de Recherches spécialisé qui, je n'en doute pas, se créera dans un proche avenir, d'ores et déjà certaines sociétés savantes et Aéro-Clubs ont tenu à étendre leur activité en fondant en leur sein des sections astronautiques. C'est là une initiative qui ne peut que nous réjouir, car ce n'est pas sans peine que nous constatons notre retard appréciable sur l'étranger, et particulièrement sur l'Allemagne.

Pourtant, la France possède des hommes de valeur, et ce ne sont ni les ingénieurs, ni les savants qui lui manquent.

Il faut que nous sachions, une fois pour toutes, qu'au delà de nos multiples frontières n'habite pas une race de surhommes. Il faut qu'enfin la France devienne consciente de sa réelle valeur, qu'elle ait confiance en elle-même et ne perde pas son temps à toujours critiquer et à douter de problèmes qui paraissent au premier abord pleins d'audace.

« Sans doute, comme l'a dit M. Fichot, membre de l'Institut, l'Astronautique, comme toute entreprise humaine, rencontrera des obstacles insoupçonnés, des échecs que soulignera l'ironie des sceptiques. Qu'importe ! La science libre et désintéressée ignore les découragements et n'a nul souci des sarcasmes. Elle marche, et à sa marche on reconnaît une déesse. »

Alexandre Ananoff "Plaidoyer pour L'Astronautique" (1945)

Alexandre Ananoff "Plaidoyer pour L'Astronautique" (1945)

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