DOSSIER : Un triptyque Helgvor / Ambor / La Fille des Rocs ?
Ces trois textes ont été publiés dans un laps de temps très court :
- 1928 - "La Fille des rocs" (en volume / aucune prépublication retrouvée à ce jour)
- 1929 - "Helgvor du Fleuve Bleu" (prépublication dans L'Esprit français)
- 1931 - "Ambor le loup" (en volume / aucune prépublication retrouvée à ce jour)
On sait désormais que le manuscrit de "Ambor le loup" est daté de 1930.
Il existe de nombreuses similitudes entre ces 3 oeuvres. Faut-il y voir des clins d'oeil ou le simple fait du hasard dû au travail simultané de J.-H. Rosny aîné sur plusieurs manuscrits ? A vous d'en juger...
Le lien le plus évident, entre deux de ces romans, se trouve dans le dernier paragraphe de "Helgvor du Fleuve Bleu" où il est écrit que Glavâ, "La fille des Rocs habitera la demeure de Helgvor".
Les personnages principaux sont entourés des mêmes animaux :
- "Là séjournait Ambor le Loup, avec sa femme, ses enfants, son père, ses serviteurs, ses chevaux, ses porcs et ses chiens. On y trouvait aussi un loup et un ours domestiqués."
- Helgvor "éleva sa peau d'ours jusqu'à son crâne [...] les chiens et le loup suivaient en silence [...]"
- On trouve, dans "La Fille des Rocs", les chiens Vesper et Lux "aux corps de loups", ainsi que Pataud "au torax d'ours".
Ils ont les mêmes rapports vis à vis de ces animaux :
- Ambor "tenait de ses ancêtres la compréhension des bêtes et l'art de les faire obéir".
- De son côté, Helgvor "possède l'instinct qui transforme la bête libre en bête soumise".
- Françoise, "La Fille des rocs", ressemble à "un petit fauve [...] une jeune bête des forêts". "Dans le temps elle aurait été sorcière ! Elle fait ce qu'elle veut des bêtes... Elle charmerait des loups [...] elle apprivoisera des sangliers".
Plusieurs passages de "La Fille des rocs" font allusion à la préhistoire ou à la Gaule :
- "Je trouve plus étonnants ceux qui ont allumé les premiers feux [...]"
- "Existera-t-il encore des sites pareils dans un siècle ? […] Un chasseur mégalithique y serait chez lui..."
- "Mais où est l'ours velu, où sont les loups qui hurlaient dans la nuit froide, où l'auroch que nos pères gaulois chassaient encore ?"
- "à mi-route, après une montée assez âpres, venait une sorte de palier, où les végétaux poussaient librement. Plus rien n'annonçait la présence de l'homme ; le Ligure et le Gaulois eussent reconnu ce site."
ou cet extrait d'un dialogue :
"— Et savez-vous ce que je pense quelquefois ? C'est qu'il faut des hommes comme moi pour l'époque où il y aura autre chose...
— Autre chose ? Et quoi donc ? Il y a chaque jour des choses nouvelles.
— Oh ! mais c'est bien plus vaste que cela. Cette civilisation atteindra son terme... Alors, il faudra faire appelle à des réserves de vie... Jadis, ces réserves se trouvaient dans des races violentes... les Romains après les Grecs... les Germains après les Romains... Maintenant, il faut que cela se retrouve au sein même des société...
— Vous êtes le barbare ?
— Un barbare d'une sorte neuve... du moins, je l'espère.
— Ce n'est pas si désagréable... Des barbares comme vous, pour commencer les temps, ce serait une grande beauté..."
Pour écrire le roman "La Fille des rocs", J.-H. Rosny aîné semble s'être inspiré de la richesse du patrimoine historique de l'Indre-et-Loire :
L'histoire débute dans la forêt de Touragnes : on peut trouver la Tour Agnès Sorel dans le Château de Loches. Ce nom est peut-être aussi une déformation de Touraine (Loches, capitale de la Touraine) par J.-H. Rosny aîné qui aimait jouer avec les mots.
Il est rapidement question, dans le roman, d'un trésor, d'une "légende de l'or, de l'or caché par les ancêtres de Pierre". A quelques kilomètres de Loches se situe le château (forteresse) de Montrésor qui domine la vallée de l'Indrois.
A proximité de Loches se trouve aussi un haut lieu de la Préhistoire, le musée de la Préhistoire du Grand-Pressigny : "En 1910, le congrès Préhistorique de France réunit à Tours la fine fleur des archéologues français qui viennent en excursion au Grand-Pressigny".
Il existe aussi de nombreux sites Gallo-romains dans ce département, tels Larçay ou Vernou-sur-Brene. Ce ne sont pas les seuls, mais, en partant du postulat que J.-H. Rosny aîné travaillait avec l'aide d'un Atlas ou de cartes, l'influence de ces sites est possible.
Il faut savoir que la cité royale de Loches est construite sur un éperon rocheux. Dans ces trois romans nous trouvons :
- Plusieurs allusions dans "Ambor le Loup", dont "les Rocs de Taran", "les Rocs Bleus" ou Amgal qui "aime courir dans les rocs, descendre dans les cavernes et ramper sous la terre...".
- Helgvor voyage à travers "le pays des rocs", Glavâ est une "fille des rocs" et ils rencontrent les "Hommes du Roc".
- Dans "La Fille des rocs", la maison de Pierre Garacq "taillée dans le granit" se situe "Aux Rocs maudits". Cette maison est qualifiée de "Maison-caverne". Sans parler du titre du roman, tout simplement !
L'aigle symbolique apparaît aussi régulièrement dans ces romans :
- Helgvor, du clan des Ougmar, est un des enfants "de l'Aigle Géant et du Fleuve Bleu. L'Aigle Géant est sorti de l'Oeuf qui flottait sur le fleuve".
- Dans "Ambor le Loup", les romains doivent "franchir les défilés des Aigles où tourner les marais...". Le chef gaulois, "brave comme les aigles" et qui "était aussi prudent que les cerfs", rencontre "les Fils de l'Aigle et du Lynx".
- Dans "La Fille des rocs", Pierre Garacq vivait "abrité dans les rocs, comme un aigle" et le personnage principal du roman s'appelle Godefroy de Vandreuil Montaigle.
Il est certainement possible de trouver d'autre points communs entre ces trois romans (1), inutile de rentrer plus dans les détails. Il est évident qu'ils ont été écrits à peu près à la même période et que les résultats des recherches de J.-H. Rosny aîné ont été disséminés dans chacun d'entre eux.
Un autre point, avant de terminer sur un extrait d'une critique, publiée en 1929 : Pierre Goemaere a dédié "Le Pèlerin du Soleil", son roman préhistorique (2) "Au Maître J.H. Rosny aîné, en hommage d'admiration, et d'affection", en retour J.-H. Rosny aîné lui a dédié "La Fille des rocs" : "A Pierre Goemaere, ma vive estime littéraire et mon affection".
Le 1er Mars 1929, Emile Chardome publie dans La Revue Belge une critique de "La Fille des rocs" dans laquelle il met en évidence l'ambiance quasi-préhistorique du roman :
"La Fille des Rocs, dont les héros et les sites, bien qu'ils soient de nos jours, gardent comme un relent de la préhistoire. Le drame qui déchire l'âme robuste du comte Godefroy de Vandreuil-Montaigle, c'est: d'entendre gronder en lui toutes les énergies forcenées des races de proie, et d'être, néanmoins, un civilisé, régi par les conventions et les attirances de notre époque artificielle et compliquée. Voilà pourquoi il se sent tiraillé entre sa jeune femme, qui unit, aux élégances délicates d'une dame du XVIIIe siècle, les grâces hardies d'une adolescente d'aujourd'hui, et la « fille des rocs », sauvage enfant d'un père assassiné, qu'il a recueillie et autant que possible instruite, mais qu'il ne peut empêcher de vivre seule au milieu des bois, entourée des bêtes de la forêt qu'elle adore et qui le lui rendent, et recevant à coups de fusil un rôdeur qui s'est avisé de tourner autour d'elle avec d'inavouables desseins.
[...]
Mais l'intérêt de. l'oeuvre ne réside pas seulement dans le conflit de trois âmes qui réciproquement se blessent ou s'appellent. Il est aussi dans l'odeur de venaison qu'elle dégage, dans la luxuriance animale et végétale dont elle déborde. Même au fond des chênaies, des hêtraies, des centenaires bouquets de sapins, des gigantesques éboulements rocheux, où il nous mène parmi les braconniers, les sangliers et les cerfs, l'auteur ne nous laisse pas perdre de vue le temps où nous sommes, le temps de la télégraphie sans fil et du cinéma, le temps de l'avion et du sous-marin, le temps où le progrès matériel dont l'humanité se montre si fière, demeure, après tout, dans la pénible dépendance d'un système de combinaisons que Paul Heuzé nomme très justement « des trucs ».
[...]
si ce livre apparaît comme le roman de quelques destinées humaines, il apparaît aussi comme le poème des terreaux grouillants, des troncs colossaux qu'emplit une sève ardente, et des redoutables bêtes carnassières."
(1) Un esprit vraiment tordu dirait que le nom "Amhao" (dans "Helgvor" ) est très proche de "Ambor", tout comme le nom "Glavâ" fait vraiment penser au glaive d'Ambor... Non, non , je n'irais pas jusque là.... encore que....
(2) Pierre Goemaere "Le Pèlerin du Soleil" (Albin Michel – 1927)
"Ambor le loup" (1931) / "Helgvor du Fleuve Bleu" (1930) / "La Fille des rocs" (1928) de J.-H. Rosny aîné
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