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J.-H. Rosny

Lucien Rolmer : critique de "La Guerre du Feu" (1911)

25 Avril 2013, 01:35am

Publié par Fabrice Mundzik

Une longue critique du roman "La Guerre du Feu" par Lucien Rolmer, publiée dans Le Printemps des Lettres n°1 (avril 1911). Une autre critique, publiée en 1912 et signée Jean Clary, présente quelques similitudes, vous pouvez la lire dans son intégralité sur le Blog.

Un document fourni et commenté par Vincent Maisonobe à qui vont tous nos remerciements pour son aide précieuse :

J.-H. Rosny ainé : La Guerre du Feu, roman des âges farouches (Fasquelle).

Que les dieux soient loués qui nous donnent ces joies ! La critique des Livres de cette naissante revue débutera par l'éloge d'un livre presque incomparable, - c'est -à-dire qui ne peux être comparé qu'à Vamireh,- d'un livre auquel je ne sache pas d'autre livre français d'un autre écrivain de France qui lui puisse ressembler. Je sais par contre que si la Guerre du Feu était traduite de l'anglais et signée, je ne dis pas d'un nom illustre d'outre-Manche, Rudyard Kipling ou Lucadio Hearn, mais même d'un auteur inconnu, Arthur Jolmfield, j'imagine, Percy Growland, ou George Nicolas Smithson, tous nos journaux, tous nos interviewers, toute notre publicité nationale (à moi, Pierre Lafitte et Pierre Excelsior !) l'auraient sacré chef d'oeuvre à grands bruit de dollars, mais la Guerre du Feu a été conçue par un cerveau français, a été écrite en langue française, a été bâtie avec les matériaux de la science française, et l'on a point assez dit que c'est un récit inoubliable, et l'on a point assez juré que c'est un livre éblouissant. Que les dieux soient loués...

Je suis fier et heureux d'inaugurer cette critique dans notre revue le Printemps des Lettres avec une telle oeuvre, une oeuvre-source, une oeuvre de printemps. Pour la lire, cette oeuvre, pour lire la Guerre du Feu, il nous faut remonter le cours des âges ; pour l'aimer, il nous faut oublier la Seine et le Tibre, et le Rhône et les Cyclades, la mer Ionienne et la Méditerranée. Nous respirons un air inconnu de nos pères, nous errons au temps ou le Gange, ou l'Asie elle-même n'avait aucun nom. L'univers était un adolescent. La jeunesse du monde, histoire merveilleuse ! Sommes-nous sortis des révolutions du globe, telles que les célébra Cuvier ? La terre a-t-elle vu se dérouler sur elle cet admirable cycle vital que glorifia Lavoisier ? Que la nature se soit ordonnée suivant une lenteur insensible ou que la vie ait été produite avec une rapidité terrible par un démon bouleversant, que notre Créateur soit l'Ordre ou la Catastrophe, qu'importe, nous avons un corps et une âme, nous sommes nés de la mer et du soleil.

Lorsque les continents émergèrent des océans, lorsque l'être animal émergea des ondes pour conquérir les continents, lorsque les premiers germes fermentèrent sur le globe incandescent refroidi, le hasard inventa d'étranges créatures à qui fut donné le pouvoir du feu. Après le diplodocus, après les sauriens, après le mastodonte et les marsupiaux, le cheval apparaît, mince comme un poisson pour courir dans la nuit dont il fend les ténèbres, puis naissent le lion, le mammouth et l'homme. A la fin de l'âge tertiaire, au début du quaternaire, "il y a peut-être cent mille ans", dit le grand Rosny, c'est à cette époque que se passe la Guerre du Feu. La Guerre du Feu c'est la roman de la jeunesse du monde.

Il convient que le génie d'un poète historien dédie à l’humanité vieillissante le conte fabuleux de sa virginité. Ce savant tout-puissant, ce cœur préhistorique, J.-H. Rosny aîné, a tout étudié dans ses œuvres, soit seul, soit en collaboration avec son frère cade t; il a étudié l'évolution des races et des conceptions humaines, la vie de nos ancêtres des cavernes et l'avenir de notre société, la fin du XIXe siècle à Londres et le commencement du XXe à Paris, les hommes et les races, les lois et les caractères, les travaux et les mœurs, et toujours, même lorsqu'il ausculte les faubourgs, ces poumons du collectivisme, même lorsqu'il nous décrit la vie prostituée de Marthe Baraquin, même lorsqu'il nous peint la montée de la vague rouge, l'auteur de Vamireh, - qui est aussi le médecin de Thérèse Degaudy et le confident de Daniel Valgraive,- se souvient qu'il a vécu jadis au temps des marécages, avec les ours et les aurochs.

Auprès de Rosny, Homère lui-même, je trouve en vérité Homère moderne. Rosny c'est le revenant des plus lointains voyages, c'est l'explorateur des gouffres profonds, Rosny c'est l'Officiant de la Savane, Rosny célèbre l'univers avec des paroles nouvelles, il voit le monde avec des yeux primitifs. Aux siècles de la Guerre du Feu, les hommes, pour vivre, ont besoin, comme à présent, d'élever eux-même leur température et de maintenir leurs cellules dans un milieu artificiel chaud. Sans la chaleur, pas d'activité, sans activité, pas de vie, et le froid, c'est la mort prochaine. Or, les Oulhamr ont perdu le feu dans une bataille. Le feu ! Ils savaient le garder dans des cages de pierre, ils ne savent pas le créer. Il le faudra reprendre aux ennemis, il faudra voler le feu à la tribu des Kzamms, la horde des Dévoreurs d'hommes. Naoh-Rosny, le rôdeur sublime, part chercher la Bête consumée aux longues ailes fauves, le Feu, l'Oiseau mystérieux ; il le trouvera, il s'en emparera, il le rapportera à la tribu des Oulhamr dans sa cage, et la récompense de Naoh sera l'amour d'une Vivante et celle de Rosny sera le baisé de l'Immortalité.

Admirable poème épique écrit par un admirable guerrier ! J'ai tremblé en lisant cette histoire de gestes, je tremblais au récit des combats du héros. Un jour, la Terre, glacée, desséchée, ressemblera à la Lune et, la nuit, le chœur des étoiles pleurera sur cet astre mort. Et il ne restera plus même le souvenir des hommes sur la Terre. Elle se dissoudra comme un cadavre humain; les blocs qui la formaient s’effriteront sur elle et peu à peu ses rochers et ses monts la quitteront, s'égrèneront dans l'espace et tomberont sur le soleil qu'ils nourriront. La lumière vivra de nos derniers vestiges et l'âme de J.-H. Rosny deviendra l'âme du soleil.

Lucien Rolmer

Il y a dans ce texte, au delà du lyrisme toujours opposé au sérieux dans nos contrées, quelque chose qui dépasse notre époque et des observations instructives.

C'est tellement signifiant cette remarque hors de tout snobisme, rendant à la démarche et à l'oeuvre de Rosny ainé sa place véritable ; "si il avait été américain"... Il est certain qu'il ne paierait pas encore aujourd'hui son éclectisme et sa modernité. Et pourtant, effectivement, c'est bien un cerveau français ; une démarche intellectuelle qui doit autant à la pensée scientifique qu'a la poésie et au grands courants littéraires dont il était issu. Une des plus grandes réussite de l'esprit de synthèse.

Enfin... à propos de synthèse et ce qui ne peux que nous rendre cette critique chère ; elle est déjà un hommage qui va à l'essentiel. Et embrasse les deux extrêmes extrémités de l'oeuvre ; des origines à l'anticipation. Quel régal que ce texte se termine dans une grande vision conjecturale ; confondant Rosny pour l'éternité avec une étoile !

Vincent Maisonobe

Lucien Rolmer : critique de "La Guerre du Feu" in Le Printemps des Lettres n°1 (avril 1911)

Lucien Rolmer : critique de "La Guerre du Feu" in Le Printemps des Lettres n°1 (avril 1911)

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