J.-H. Rosny aîné "Le Jardin de Mary" (Didier-Hatier - 1991)
"Le jardin de Mary" de J.-H. Rosny aîné fut publié en 1991 dans un ouvrage scolaire : "La Science-Fiction - Textes pour la classe de français" de Karl Canvat (Didier-Hatier, collection Séquences).
Au sommaire :
Jules Verne - Au XXIXe siècle : la journée d'un journaliste américain en 2889
J.-H. Rosny aîné - Le jardin de Mary
H.-P. Lovecraft - Hypnos"
Arthur C. Clarke - La sentinelle
Dino Buzzati - La machine à arrêter le temps
Ursula Le Guin - Ceux qui partent d'Omelas
Gérard Klein - Lettre à une ombre chère
Louis-Philippe Hébert - L'extracteur de jus
Serge Brussolo - Soleil de soufre
Marc Sévigny - Le train
Christian Léourier - La peau bleue
Jacques Sternberg - La créature
Jacques Sternberg - Le désert
Jacques Sternberg - Non humaine
Collectif - Incipit
Collectif - Opinions
Karl Canvat - Pour en savoir plus (Bibliographie)
Ce recueil de "Textes pour la classe de français" est complété par un "Vade-mecum du professeur de français" dans lequel une étude de chaque texte est proposée :
"D'origine belge, J.-H. Rosny aîné (pseudonyme de Joseph-Henri Boëx, 1856-1940) est surtout connu pour ses romans préhistoriques (La guerre du feu, 1909 ; Le félin géant, 1918).Cependant, dès les xipéhuz (1887), longue nouvelle racontant la rencontre des hommes avec des êtres différents, Rosny avait fait montre d'étonnantes aptitudes à l'anticipation. Avec lui, comme l'a dit J. Van Herp, le roman d'anticipation devient de la science-fiction (« Et la science-fiction naquit... », Introduction à J.-H. Rosny, Récits de science-fiction, Verviers, Ed. Gérard & Co, « Marabout », n° 523, 1975).
Le jardin de Mary (1895) surprendra : il n'y a rien, ici, à première vue, qui rappelle la science-fiction. Cependant, on y trouve déjà l'idée des univers parallèles (que l'on retrouve, admirablement traité, dans Le monde des variants en 1939) dont Rosny s'est expliqué dans Le trésor dans la neige (1922) :
J'ai toujours pensé qu'il y avait partout une infinité de coexistences, que là où nous ne voyons qu'un soleil et des planètes, il y a des milliards, des trillons de systèmes différents les uns des autres qui s'entretraversent comme si chaque système était un pur néant pour les autres. (J.-H. Rosny, Récits de science-fiction, op. cit., p. 326).
On veillera à faire ressortir du texte quelques éléments saillants. Ainsi, la perception - proche des présocratiques et d'Anaxagore en particulier - de la dimension pan-cosmique de l'être (l'immortalité de l'âme est en quelque sorte démontrée ici par l'harmonie universelle de l'univers) : devant le mystère universel, devant l'impalpable émanation de l'âme du cosmos, l'héroïne est saisie d'un frisson sacré. On y trouve aussi le souci de mesurer l'homme non à sa propre aune, mais à celle du cosmos tout entier et le rappel - très pascalien - de notre fragilité d'être pensant et raisonnant (l'homme n'est que « poussière d'étoiles » (H. Reeves) et la Terre une monade au sein de l'infini).
L'idée des correspondances entre le monde des sensations et l'univers suprasensible, entre l'ici-bas et l'au-delà et le fatalisme cosmique proche de Schopenhauer éveillent des échos symbolistes. On attirera l'attention sur la dimension eschatologique du texte, avec cette particularité ici que l'angoisse des fins dernières se confond avec la nostalgie des premiers temps de l'homme et du monde (« tout cela se touche »). On s'arrêtera aussi sur l'atmosphère poétique, féerique de ce texte (que l'on retrouve dans les paysages planétaires d'un Bradbury), dont une extrême sensibilité semble se dégager. A cet égard, la comparaison du texte de Rosny et de celui de Verne s'avère intéressante : si celui-ci se limite à évoquer un probable futur technologique, celui-là s'intéresse davantage aux réactions psychologiques et spirituelles de l'homme d'hier, d'aujourd'hui et de demain confronté à ce qui le dépasse.
On ne manquera pas de rapprocher ce texte des traits dominants de l'esthétique de cette fin de siècle. Après le triomphe des « bourgeois conquérants », le XIXe siècle s'assombrit au point de prendre les teintes d'un crépuscule des dieux. Dans un monde qui a perdu, sous la poussée du rationalisme et du positivisme, toute référence à l'affectivité et à l'émotion, reparaissent, au cœur du déchiffrement rationnel de l'énigme du monde (on s'en aperçoit lorsque l'héroïne énumère le nom des étoiles), des obsessions, des images mythiques insistantes, des symboles qui constituent comme autant de symptômes du retour d'un refoulé (voir aussi Camille Flammarion, digne savant astronome et adepte des théories étranges du spirite Alan Kardec). On peut lire ce texte comme une tentative de relève spiritualiste de la science positive : il inscrit, en quelque sorte, l'Au-delà de l'Histoire au-delà de l'Histoire."
Karl Canvat "La Science-Fiction - Textes pour la classe de français" (Didier-Hatier, Séquences - 1991)
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