J.-H. Rosny aîné - L'Inévitable publicité (1927)
« L'Inévitable publicité », de J.-H. Rosny aîné, est paru dans L'Œuvre du 24 février 1927.
Il y a, comme le lecteur sait (mais non, il ne sait pas), une petite crise en librairie : le public rue dans les brancards. Or, un écrivain encore jeune alla voir, après plusieurs échecs, un éditeur qui connaît bien son affaire et qui lui dit :
— Vous, avez déjà publié quelques volumes, mais je dois vous considérer comme un débutant, puisque vous n'avez jamais été lancé. Je vous déclare donc qu'il m'est impossible de vous éditer si vous ne payez pas les frais de votre publicité ! (sic) Votre ouvrage est fort beau, au point de vue strictement littéraire — mais il ne m'importe pas qu'un livre soit beau ou pas beau... Ce n'est pas un beau livre qu'on lance mais un livre... Et on le lance comme une pastille.
Il n'était pas nécessaire que le jeune écrivain m'apprît que les livres se lancent comme des produits pharmaceutiques : mon roman La Jeune fille à la page le montre surabondamment. Il est, hélas ! très vrai que le mérite d'un livre n'est plus qu'un élément secondaire de succès. Cela pour bien des raisons, parmi lesquelles une surproduction si intense que les critiques littéraires ne peuvent plus renseigner le public.
Mais, avant tout, c'est l'époque qui le veut. Rien ne sert de geindre. La publicité est une reine qui deviendra de plus en plus puissante au cours de ce siècle. Possible qu'en des temps futurs il y ait une réaction. Nous ne la verrons point. La vie rapide, le règne des machines et des communications foudroyants, la lutte âpre, non seulement pour l'existence mais plus encore pour le luxe, le renom, la puissance, tout cela implique un usage véhément et croissant de la publicité.
L'art n'y saurait échapper. Il y échappera de moins en moins.
Nous ne verrons plus guère — sauf au théâtre — ce succès que nous avons baptisé « le succès d'amour » et qui est le fait du public seul.
Un livre qui n'est pas « lancé » se perd dans le brouillard. Il ne tarde pas à être enfoui ; la multitude grouillante des livres nouveaux le condamne à l'oubli éternel... Peut-être quelques ouvrages exhumés connaîtront-ils des succès refusés à l'auteur vivant, mais ces succès mêmes seront fort restreints.
* * *
Au total, la publicité. est devenue indispensable, même pour atteindre un public restreint, un public d'élite. Quel écrivain, après de durs labeurs, peut se résigner à voir son livre passer complètement inaperçu ? C'est contre nature. Et ce n'est même pas favorable à l'Art, avec ou sans majuscule.
L'écrivain consentira donc à voir lancer son livre et, s'il le faut, il participera aux frais de la publicité, il abandonnera par exemple une partie de ses droits d'auteur. Puisque c'est une question de vie ou de mort !
Il y a une quarantaine d'années, la publicité n'était certes pas inconnue. L'arriviste existait. Mais on comptait avant tout sur les articles des critiques et des confrères. Une chronique dans le Figaro sacrait un jeune talent et consacrait le talent des anciens.
Aussi bien les critiques étaient assiégés, comme ils le sont encore, mais les placards, les médaillons, tout le jeu actuel des éditeurs existait à peine. On n'avait pour ainsi dire que les « papillons », les « prière d'insérer », petits papiers élogieux joints aux volumes et maints journaux publiaient à titre gracieux...
Aujourd'hui, les critiques ont peu d'influence, et les « prière d'insérer » sont de la poudre aux moineaux. Il faut l'effort de l'éditeur. Quand un livre n'est pas lancé à grand bruit, le libraire qui doit le vendre se dit : « Pas de réclame ! Ce bouquin n'a pas d'importance ! »
Et il jette le nouveau venu dans un coin.
Au contraire, si la publicité est retentissante, le même libraire en conclut que le livre a une valeur puisque l'éditeur dépense de l'argent pour le « faire marcher ».
Il est d'ailleurs évident que, si l'éditeur fait ce sacrifice, c'est qu'il croit à l'avenir de l'ouvrage...
Pour toutes ces raisons, pour quelques autres encore, le livre, pas plus que mille autres produits du travail, de l'intelligence, voire du génie humain, ne fera son chemin dans le monde que s'il est aidé par la Sirène, par la triomphale Publicité.
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