Marcel Astruc - Idylle préhistorique (1924). Illustré par Zyg Brunner.
"Idylle préhistorique", signé Marcel Astruc, est paru dans La Vie parisienne du 13 septembre 1924.
Les illustrations sont de Zyg Brunner.
Idylle préhistorique
Une allée dans la forêt préhistorique. A droite, portant une main indicatrice un écriteau sur lequel est écrit : ARRÊT FACULTATIF.
Lui. — Sans doute attendez-vous le diplodocus, Mademoiselle.
Elle. — Vous êtes de la Compagnie, Monsieur ?
Lui. — Nullement... Seulement cela fait dix minutes que je vous vois attendant à cette station, et je me suis permis de vous aborder parce que je sais qu'il y a un accident sur la ligne.
Elle. — Un accident de diplodocus .... Mais c'est effrayant ! Comment cela a-t-il pu se produire ?
Lui. — Eh bien, voilà... Vous savez... l'endroit ou la ligne de diplodocus croise la ligne de plésiosaures...
Elle. — Si je la connais !... C'est-à-dire que j'ai toujours une peur bleue à cet endroit-là... Une rencontre de ces véhicules, qui vont à une vitesse folle, est si vite arrivée.
Lui. — C'est précisément ce qui s'est produit... Le conducteur du plésiosaure était un débutant. Il n'a pas su arrêter à temps son véhicule ; et le choc a eu lieu.
Elle. — C'est horrible !... Oh ! moi, je ne prends jamais le plésiosaure.
Elle. — Sans doute... Je ne puis vivre seule.
Lui. — Et que fait-il, de son métier, votre ami ?
Elle. — Il est artiste. Nous habitons ensemble dans une caverne... Je l'aime bien, mais ce-n'est pas une existence gaie... Il ne sort jamais, n'est-ce pas... Toujours occupé à dessiner sur les parois de notre demeure....
Lui. — En somme. il n'est pas encore sorti ?
Elle. — Non... puisque je vous dis que son travail est à l'intérieur.
Lui. — Je veux dire : Il n'est pas arrivé à la célébrité.
Elle. — Oh ! il dit que ses œuvres auront beaucoup de valeur plus tard.... que c'est toujours ainsi pour les artistes... dans 6 ou 7000 ans.
Lui. — C'est long.
Elle. — C'est ce que je me dis quelquefois... quand je perds patience.
Lui. — Et, naturellement, en même temps que son amie, vous êtes son modèle... C'est ainsi, je crois, que procèdent les artistes.
Elle. — Non... Lui ne dessine que des animaux.
Lui. — C'est bien, ce qu'il fait ?
Elle. — Oh ! moi, vous savez, je ne m'y connais guère... Je trouve son dessin un peu raide, un peu primitif... Il faut vous dire que c'est un artiste moderne.
Lui, avec mépris. — Ah ! oui... (Subitement.) Écoutez, j'ai une proposition à vous faire.
Elle. — Une proposition... ou des propositions ?
Lui. — Je vais vous parler net... Je suis moderne, moi aussi, peut-être pas artiste, mais moderne à ma manière : je connais la valeur des mots... Vous me plaisez... Voulez-vous quitter votre trou pour venir habiter un gentil petit entresol ?
Elle. — Un entresol ?
Lui. — Oui... On a découvert, entre le sol et les premières caves, des chambres très agréables : c'est ce qu'on appelle un entresol... C'est moins humide et plus aéré.
Elle, hésitante. — Est-ce que j'aurai mon mammouth ?
Lui. — Un peu plus tard... Tout viendra progressivement.
Elle. — Il faut que ce soit tout de suite... Je ne marche qu'à cette condition... à condition de ne plus marcher. Vous comprenez que j'en ai assez, depuis le temps, de ce diplodocus qu'on attend des heures... et puis il passe complet !... Je veux avoir ma voiture.
Lui. — Ne vous fâchez pas, vous l'aurez... Ensuite, je vous offre un manteau de fourrure... Le premier tigre qui me tombe sous la main, c'est pour vous... Quelle est votre taille, des épaules aux talons ?
Elle. — 1m45... Vous ne me trouvez pas assez grande ?
Lui. — Ce n'est pas cela... J'ai dans l'idée un manteau, actuellement sur pieds, qui fera tout à fait votre affaire... A tout à l'heure !
Elle. — Mon Dieu !... Où allez-vous ?
Lui, montrant sa hache de silex. — L'acheter aux Cavernes-Lafayette.
Elle. — Surtout, soyez prudent... Prenez bien garde à vous... NE LE PAYEZ PAS TROP CHER !...
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