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J.-H. Rosny

Pierre Dominique "Les esclaves de demain" (1931)

10 Février 2015, 18:21pm

Publié par Fabrice Mundzik

"Les esclaves de demain", par Pierre Dominique, fut publié dans Paris-soir n°2969 du 22 novembre 1931.

 

A lire aussi :

J.-H. Rosny - La Morale de l’esclave in "Fables Antiques et autres récits érotiques" (Bibliogs - 2014)

... ainsi que, sur le Blog de l'Amicale Des Amateurs de Nids À Poussière :

"Les automates et les œuvres d'imagination", par Alfred Chapuis (dessins originaux d'Alex Billeter)

Frédéric Boutet - Le Meurtre de l'Américain (1921)

Isabelle Sandy - Le Cœur et la Machine (1940)

Pierre Dominique "Les esclaves de demain" (1931)

Pierre Dominique "Les esclaves de demain" (1931)

L'homme commence enfin à savoir se servir de toutes les forces que la nature mit toujours à sa disposition. Je crois  que c'est le maître Rosny aîné qui signalait récemment que les Anciens — si vantés — n'avaient jamais su tirer parti du cheval, n'ayant su inventer ni l'étrier qui permet au cavalier de le monter sans fatigue, ni le fer qui permet à la bête de marcher par tous chemins, ni le collier qui lui permet de tirer « à plein collier », c'est le cas de le dire, et de rouler quatre ou cinq fois plus lourd que les maigres charges imposées part les Grecs à leurs chevaux mal harnachés. Et Rosny aîné concluait que la mauvaise utilisation des bêtes de trait et aussi l'inexistence des machines — avait rendu quasi nécessaire l'esclavage.

Depuis on a donc inventé le fer et le collier et l'on s'est servi à fond du cheval, du bœuf et de quelques autres animaux qui furent, au cours du dernier millénaire, les véritables esclaves de l'homme.

Et puis la machine est intervenue, cette machine qui, dans tant d'usine et jusque dans les champs, rend plus rare l'ouvrier. Mais elle a encore un aspect extra-humain qui nous interdit de la considérer comme l'esclave à notre service. Il faut un poète pour donner une personnalité à un bateau, à une locomotive, à une automobile, à un avion. Et, sur le quai d'une gare, à l'instant où passe une locomotive, avec son air de grand brutal, la tête engoncée entre les épaules, les poètes ne sont pas nombreux.

Aussi, depuis le seizième siècle, depuis que l'homme s'est fait mécanicien, a-t-il songé à se donner des serviteurs d'acier. On en a connu, au dix-huitième, qui manœuvraient fort bien — et j'accorde que le fameux joueur d'échecs qui fut présenté à Catherine II était une fumisterie, mais le canard de Vaucanson ne l'était pas. Pas plus que son joueur de flûte et que son joueur de tambourin.

Le dix-huitième siècle avait été le grand siècle des automates et puis, durant une centaine d'années, on avait trouvé ces constructions indignes du génie humain. Depuis dix ou vingt ans, on s'acharne à nouveau à bâtir pour l'homme des esclaves d'acier infiniment supérieurs à ceux du dix-huitième siècle et qui sont mus par T. S. F. Ce sont les « robots », dont une exposition se tient à l'heure actuelle, en Amérique. Je cite ce que les journaux américains nous disent de l'un d'entre eux qui porte le nom bien caligaresque d'Occultus.

« Occultus présente un aspect massif. Il court très vite, car il est muni d'un moteur de 60 C.V. ; un dispositif ingénieux permet au monstre de conserver son équilibre et de se déplacer sans tomber sur des espèces de petits tanks à chenille qui n'ont qu'un rapport très vague avec des jambes humaines ; les bras sont représentés par des pièces d'acier capables d'assommer le plus puissant éléphant ; ses mains sont des boudins de caoutchouc meurtriers.

» Occultus recevant par radio les ordres de son maître placé dans une auto à quelques kilomètres de distance, peut, à volonté, tuer, lancer des bombes, enfoncer des portes ou enlever une jeune fille. Son maître l'a toujours sous les yeux, grâce à un télescope. »

Il fait d'ailleurs aussi bien, car, en somme, un esclave de pareille force pourrait, mal dirigé, faire quelques sottises et causer quelques dégâts.

Mais imagine-t-on maintenant que chacun de nous finisse par avoir un serviteur comme celui-là.

Imagine-t-on — et pourquoi pas ? — notre gendarmerie nationale et même l'internationale composée de quelques milliers d'« Occultus » avec derrière chaque brigade, si j'ose dire, un policier en chair et en os, faisant manœuvrer ses hommes par T. S. F.

Imagine-t-on des armées réduites à ces automates — comme il y a déjà des cuirassés vides d'hommes et manœuvrés de la terre par T. S. F., et le personnel de l'armée réduit à des généraux, celui de la marine à des amiraux...

Et finalement la guerre enfin ramenée au choc de deux armées d'automates, autant dire de deux intelligences humaines. Je ne sais pas si cette formule nouvelle rendrait les traités moins injustes et moins durs, mais elle rendrait en tout cas les guerres moins sanglantes en ne faisant plus qu'un grand massacre de ferraille.

Ce serait toujours cela.

Pierre Dominique

Ci-dessous, une photographie, publiée dans la presse en 1934, d'un « Robot » :

Pierre Dominique "Les esclaves de demain" (1931)

Pierre Dominique "Les esclaves de demain" (1931)

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