Fernand Mysor "Essai sur le violon d'Ingres" & Gabriel Reuillard "Fernand Mysor" (1925)
Voici deux articles parus dans le journal Paris-Soir n°499 du 15 février 1925.
Le premier est de
Le second est signé...
(Bernard Grasset) et de "Va'Hour l'illuminé" (Baudinière), un roman préhistorique dédié à J.-H. Rosny aîné.
A lire aussi :
Timothée Rey "Les Souffles ne laissent pas de traces" (Les Moutons électriques - 2014)
Collectif "L'Homme préhistorique. Images et imaginaire" (L'Harmattan - 2000)
Mélanie Bulliard "L'Enjeu des origines : les romans préhistoriques de J.H. Rosny aîné" (2001)
(dir.) Meddy Ligner "Dimension Préhistoire" (Rivière Blanche - 2013)
DOSSIER : "Le Pèlerin du soleil" de Pierre Goemaere
Un précurseur : Elie Berthet et les romans préhistoriques
M. B. "Les Romans préhistoriques" (1909)
ainsi que :
P. Vigné d'octon, A l'étalage du bouquiniste (quelques ouvrages conjecturaux) sur ArchéoSF
C'est parmi les laboureurs et les les artisans d'un petit village du Quercy, où il est né, que Fernand Mysor a grandi.
Je l'imagine dénichant les oiseaux avec les gamins de son âge et se livrant, pieds et jambes nus hiver comme été, aux exercices de plein air qui devaient lui faire apprécier à travers l'espace et le temps la vie aventureuse de Vahour l'Illuminé [sic].
Nous avons tous joué aux hommes des cavernes, dans notre enfance, mais un seul d'entre nous a su garder assez de fraîcheur d'âme (même après avoir traversé nos milieux parisiens) pour conserver le goût de ces plaisirs dans l'âge adulte.
C'est ce sauvage de Montmartre et autres lieux, au poil roux, à l’œil d'air, à la voix claironnante, qui s'amuse au spectacle des prétendus civilisés. Il est vrai que, dans le plaisir de ce sauvage devant nos mesquines agitations, il entre un élément de véritable civilisation : la philosophie.
Journaliste, romancier, auteur dramatique et poète, Fernand Mysor nous a dit l'essentiel de ce qu'il pensait dans Poèmes de la Belle Étreinte, Le Cœur Pressé, L'Âme Ardente, Les Semeurs d'Épouvante (roman qui a obtenu plusieurs voix à la première attribution du Prix Balzac), La Négresse dans la Piscine (en collaboration avec Vincent Hyspa) et dans des pièces comme Le Droit d'Aimer, trois actes en collaboration avec M. Montjoyeux représentés au Théâtre du Parc, à Bruxelles. Il fut, avec L'Absent, l'un des cinq dramaturges publiés, par Antoine au moment du concours organisé par le fondateur du Théâtre Libre à l'Information.
En compagnie de Jean-José Frappa, Emile Sollar et quelques autres, il a fondé « La Maison des Artistes ». Son cinquième roman, La Ville Assassinée, va paraître prochainement.
Son art vigoureux et direct est inspiré par le seul amour qui ne trompe pas : celui de la nature. En outre, Fernand Mysor est assez généreux pour ajouter à celui-là un amour qui déçoit souvent : celui des hommes. La vie — contraste d'ombres et de lumières — multiplie ses aspects infinis dans son œuvre et, si je puis parler ainsi, l'illustre comme d'autant d'eaux-fortes.
Gabriel REUILLARD.
Mon excellent maître Edmond Haraucourt affirme qu'une jeune homme atteint du mal littéraire et dépourvu de rentes doit songer à s'assurer la matérielle, devant que se lancer dans l'abominable mêlée.
Une telle opinion, pour n'être point neuve, ne laisse point d'être juste, sinistrement, si l'on considère surtout que les générations actuelles se désintéressent de plus en plus de tout ce qui touche à l'esprit, et réservent leur sollicitude aux pugilistes, aux champions de rugby et aux princes du demi-fond.
Les jeunes et les quasi-jeunes l'ont si bien compris qu'ils considèrent comme un phénomène l'écrivain assez fou pour vivre exclusivement de sa plume, et que des naturalistes de sapience indiscutable songent le plus sérieusement du monde à conserver dans des bocaux pleins d'eau-de-vie quelques échantillons de cette faune moribonde.
Directeurs, attachés d'ambassades, conservateurs de musées, mandataires à la volaille, tels s'offrent à nos yeux ravis les favoris des Muses. Et les plus malins d'entre eux, solidement attachés à l'Hôtel de Ville, ou juchés sur des chaises curules en des ministères lugubres, jouissent à l’œil du papier, del'encre, et des buvards nécessaires à la perpétration des chefs-d'œuvre (hé, hé !) que nous infligent de téméraires éditeurs. D'autres furent pilotes, débardeurs ou saltimbanques...
Ah ! l'admirable phalange que pourraient constituer ces penseurs et ces plumitifs et quelles truculentes symphonies ne nous feraient-ils pas ouïr, au signal donné par le coupe-papier du plus autorisé d'entre eux ! Quand je parie de symphonies, j'exagère sans doute, puisque bien peu parmi ces violonistes d'Ingres soupçonnent la façon dont on manipule un archet.
Et, si je n'avais peur de paraître « me vanter », je dirais que je suis, avec l'illustre peintre montalbanais, mon compatriote, l'un des très rares à qui le grincement des boyaux de chat et de l'acier filé procura quelques escalopes. J'irai même plus loin. Je pense que je fus, en ma verte Jouvence, plus violoniste d'Ingres qu'Ingres lui-même, encore que le peintre du Vœu de Louis XIII se tînt pour un grand virtuose. Et il me suffira d'égrener ici quelques souvenirs, aussi doux à mon cœur que d'amoureuses barcarolles, pour convaincre le plus incrédule.
Lorsque je quittai ma province, et que je débarquai à la gare du quai d'Orsay, décidé à conquérir ce Paris où je n'ai réduit, trois fois hélas ! que des dames vaincues d'avance par profession ou par fringale sensuelle, je sévis, après plusieurs mois de famine et de misère atroce, dans un beuglant des Boulevards où je partageais, avec l'ancien chef de musique d'un régiment russe exilé pour nihilisme, le pupitre de second violon. Les cent francs que me dispensait mensuellement la direction (matinées comprises) me permirent de composer mon premier volume de vers, en mangeant une fois par jour à peu près.
Mais, avide d'arrondir mon maigre budget, j'eus tôt fait de troquer mon simili-Stradivarius contre un alto à cordes. Et, laissant là mon nihiliste, je signai un engagement avec le manager d'une grande saison lyrique. Fatale imprudence : car ledit manager mit, au bout de douze jours, la clé sous la porte en oubliant de nous payer. De cette saison lyrique date le premier acte de mon premier drame en vers.
Insatiable de plus en plus, je rêvai d'un archiluth plus sonore et plus fructueux. Et, cependant que j'alignais, au retour de mon labeur vespéral, sur de vastes feuilles de papier ministre, des alexandrins héroïques, je goûtais, de huit à onze heures, l'orgueil de souligner par des éclats de cuivre l'entrée des Fratellini, ou de prolonger le barrissement d'un quatuor d'éléphants « présentés en liberté » sur la piste sablée d'un cirque. J'étais devenu cornet à pistons... Et je le suis demeuré bien longtemps.
Théâtres, music-halls, casinos, m'accueillirent successivement dans leur fosse-aux-ours. C'est alors que, sûr de vivre, j'osai présenter aux directeurs littéraires des quotidiens de ce temps-la des chroniques et des papiers régulièrement refusés. C'est alors que j'écrivis d'innombrables pièces encore enfouies dans mes tiroirs, et que, toujours poussé par le désir de voir des pays neufs, je partis comme chef d'orchestre de cirque ambulant pour une tournée en Europe.
Puis les années passèrent. La vie me devint moins inexorable — les directeurs aussi. De mes premiers romans datent mes enviables situations de secrétaire de députés, secrétaire de rédactions, secrétaire de présidents d'un tas de choses...
Et, aujourd'hui que je puis considérer l'avenir avec plus de sérénité, aujourd'hui que mes cuivres et mes archets dorment paisiblement au fond de leurs étuis, il m'arrive souvent de regretter ces violons d'Ingres, parce que je regrette, en les regrettant, ma belle jeunesse envolée.
Et, quand je songe à tout cela, pendant les étés lumineux où mon Quercy se dore au couchant comme un immense manteau royal, où des grands arbres de mon petit Mas de Libaude frémissent autour de moi comme les instruments d'un mystérieux orchestre, il me semble que je travaille encore « en musique », et que j'ai, pour me soutenir et pour m'exhorter, le plus pur et le plus beau des violons d'Ingres : l'harmonie éperdue de la terre natale !
Fernand MYSOR.
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