Camille Lemonnier "Un Mâle" (Albert Savine - 1888), préfacé par J.-H. Rosny
Préface, signée J.-H. Rosny, pour "Un Mâle" de Camille Lemonnier.
Extraite de l'édition définitive, publiée en 1888 par Albert Savine, avec un dessin de Xavier Mellery.
Ouvrage dédié par l'auteur à J. Barbey d'Aurevilly.
Préface
Une préface au Mâle ? Une analyse froide, au seuil même du beau livre, un fantôme ennuyeux alors que la réalité est si charmante ? Non, n'est-ce pas ?
Laissez-moi répéter seulement, après tant d'autres, en quelques mots, que le Mâle est un des chefs-d’œuvre de l'époque, qu'un bonheur merveilleux d'inspiration et de poésie, la sincérité, la patience et la vigueur de l'observation, le charme de la fable, des silhouettes d'êtres rustiques admirablement vivantes et mouvantes, le pathétique dans le primitif des sensations, l'amour rendu en nuances émues, tout ensemble rude et attendrissant, sont les qualités qui éclatent partout ; que dès le début, alors que le braconnier Cachaprès guette la jeune fermière Germaine et « qu'une bête s'éveille en lui, féroce et douce », une magie parfume les pages, une large senteur de nature et de volupté ; que les amours de la belle fille et du demi-sauvage, les dialogués nets et précis, les naïvetés et les ruses de l'homme, la chute de Germaine captent, enchaînent et dominent l'âme ; que les scènes de transition, la ducasse, la chasse nocturne, les forestiers, la vente de la vache, la terrible bataille des Hulotte et des Hayot, sont superbes dans le détail comme dans l'ensemble et que la fatalité de la fin, les péripéties de la rupture, la grande battue finale où le braconnier succombe, c'est parmi les plus tragiques et les plus belles choses qu'on peut lire !
Et quant aux êtres que le roman évoque, et qui ne sont pas étrangers en dépit de la frontière, quant à ces Gaulois, fils de la langue d'oïl, aux finesses d'attitude et de parole, aux impétuosités de tempérament, à la légèreté celtique, le Mâle est le premier livre qui les ait analytiquement décrits, le premier qui les ait révélés dans leur originalité, et vraiment, depuis la vieille mendiante jusqu'au bon Hulotte, tous, dans leur simplicité et leur complexité rustiques, dans les cris de leurs passions et de leurs astuces, résument une race entière évoquée par un grand et noble artiste.
J.-H. ROSNY.
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