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J.-H. Rosny

Critique de "La Force mystérieuse" par Georges Pourcel (1914)

4 Mars 2014, 17:56pm

Publié par Fabrice Mundzik

Critique de "La Force mystérieuse" de J.-H. Rosny aîné, par Georges Pourcel.

Elle fut publiée dans Le Parthénon, revue bi-mensuelle indépendante, Politique, Scientifique et Littéraire n°7 du 5 mai 1914.

La Force mystérieuse
Par J.-H Rosny aîné

L'apparition d'un nouveau roman de J.-H. Rosny aîné est un véritable événement littéraire. Cet écrivain peut ne pas bouleverser les librairies à la manière de quelques fabricants célèbres ; le grand public peut, dans une certaine mesure, résister à sa manière, qui est une grande manière : n'importe, ses livres sont de ceux qui comptent ; ils sont de ceux qui ne passent pas en une saison. Et tout le monde sait bien que J.-H. Rosny aîné domine la littérature de notre temps.

La Force Mystérieuse, que le maître vient de publier, appartient au cycle des romans préhistoriques, où le merveilleux scientifique — j'allais dire à la Wells, mais il faut dire à la Rosny — s'allie à l'imagination lyrique et épique. C'est dans ce genre que l'auteur de la Guerre du Feu se meut avec le plus d'aisance, et que ses dons prodigieux de poète et de visionnaire peuvent trouver la mesure de leur vaste essor. La Force Mystérieuse, par sa puissance, sa sobriété, son pouvoir d'évocation, et par son style admirablement dense et lumineux, me paraît marquer le point culminant de l'effort de cet écrivain. Jamais M. Rosny ne s'était élevé aussi haut. Voici :

Nous sommes dans le champ des hypothèses. Notre planète subit le heurt d'un monde inconnu. Et alors des troubles singuliers se manifestent ; les lignes du spectre, solaire se troublent. Il y a positivement une maladie de la lumière. Le vieux savant Langre et son élève Georges Meyral penchés sur leurs instruments, au fond de leur laboratoire, suivent, avec une ténacité héroïques, heure par heure, minute par minute, les progrès de l'angoissant phénomène... Mais voici qu'un drame individuel traverse le grand drame planétaire. Par téléphone, Sabine, la fille du vieux Langre, mariée avec une sorte de demi-fou, supplie son père de venir la chercher, car son mari se trouve dans un état d'exaltation extraordinaire, et un malheur peut se produire l'instant d'après. Les deux savants se précipitent... Dans la rue, il règne une excitation bizarre ; une hyperesthésie singulière s'est emparée de la multitude. A tous les carrefours, c'est une dispute ; les cochers refusent de conduire leurs clients. La révolution gronde, elle va éclater. Le peuple des faubourgs hurle l'Internationale. C'est la nuit rouge. Paris est à feu et à sang, le Président de la République assassiné, les ministères assiégés. Le lendemain, les quelque rares journaux qui paraissent donnent des détails alarmants : la vieille Europe a failli sombrer. Partout des émeutes, partout des tueries. Notre planète est remuée jusque dans ses profondeurs... Une torpeur étrange succède à cette soudaine exaltation. Sabine et ses enfants se pressent dans le laboratoire où Langre et Georges interrogent le spectre.

La zone du violet est attaquée. Bientôt l'indigo et le bleu vont disparaître. Le jour devient jaunâtre. Ah ! sentez-vous la tragédie qui rôde ! L'angoisse des fins de monde monte des abîmes. Une terreur folle surgit des profondeurs. Oh ! ce soleil, ce soleil qu'on ne verra plus jamais ! Avec quel tremblement l'humanité le regarde disparaître ! Sera-ce la nuit éternelle ?

La mort est partout. Dans la rue, à tous les coins, les hommes tombent terrassés... Dans ce grand danger, on se serre les uns contre les autres. L'instinct du troupeau saisit les victimes menacées. Plus frileusement, la famille Langre se terre dans le laboratoire. Voici le mari de Sabine qui vient demander pardon. Il veut mourir près de sa femme et de ses enfants. Ah ! que sont les malentendus, les jalousies, en face de la terrible éventualité d'un monde qui disparaît.

La catastrophe planétaire se poursuit. Plus d'électricité, plus de vapeur, plus de feu. L'homme se trouve plus dénudé qu'aux premiers âges ; il est réduit à l'impuissance. Le mari de Sabine tombe foudroyé. La nuit vient « épaisse et meurtrière ». Un froid subit glace les corps transis. Le sommeil, le noir sommeil les terrasse, prélude de la mort totale. Seul Georges Meyral, plus jeune et plus fort, résiste. Héroïquement, penché sur le spectre solaire, il suit les progrès de l'effrayant cataclysme. La vie va s'éteindre sur la planète. Non, car la réaction commence : la zone verte s'est accrue. Un espoir merveilleux gonfle le cœur, une ivresse magnifique et profonde le soulève. C'est l'espérance, la grande espérance de résurrection, « vaste comme l'aube d'un univers ». Les minutes passent, la lumière revient, la vie remonte des profondeurs. Sabine va ouvrir les yeux, ses tendres yeux de fleur sauvage, sa chevelure de torche ardente va briller sur l'oreiller. Elle va vivre, il va vivre. Et il l'adore !

Pour peindre ce renouveau d'un monde, pour dire la joie d'un univers rajeuni, J.-H. Rosny aîné a trouvé des accents d'une incomparable beauté. Je voudrais pouvoir citer de lui telles phrases d'une splendeur neuve, dont les mots paraissent n'avoir jamais servi, semblent être employés pour la première fois, tellement ils ont de fraîcheur, de grâce et de vérité. A côté d'une formidable évocation de cataclysme, dont l'idée nous donne le frisson, entre deux analyses d'une rigueur scientifique, voici un cantique d'amour qui s'élève, d'une suavité adorable...

Mais à quoi bon citer ! mais à quoi bon conter ! Vous lirez la Force Mystérieuse, vous lirez le livre de ce grand poète... Vous y trouverez des pages qu'on ne rencontre nulle part ailleurs ; vous y éprouverez des émotions, des terreurs, des angoisses et des joies que les livres des romancier à succès ne vous ont jamais données... Cet écrivain-là, il faut le mettre à part, très haut, et s'incliner respectueusement devant lui. C'est un grand écrivain ; c'est un grand visionnaire. Il est celui de nos contemporains dont on peut dire, avec le plus de certitude, qu'il a du génie...

Georges Pourcel

Critique de "La Force mystérieuse" par Georges Pourcel in Le Parthénon n°7 du 5 mai 1914.

Critique de "La Force mystérieuse" par Georges Pourcel in Le Parthénon n°7 du 5 mai 1914.

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