Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
J.-H. Rosny

Pierre Massé "Le nouveau Président de l'Académie Goncourt" (1926)

14 Février 2014, 09:20am

Publié par Fabrice Mundzik

"Le nouveau Président de l'Académie Goncourt" de Pierre Massé fut publié dans Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques n°186 du 8 mai 1926.

Le nouveau Président de l'Académie Goncourt - J.-H. Rosny aîné

C'est après avoir publié Nell Horn, son roman de début, que J.-H. Rosny aîné, en 1886, parut pour la première fois devant Edmond de Goncourt. Il a raconté lui-même, dans ses Torches et Lumignons, cette entrevue qui marqua son avènement au rang d'homme de lettres, et qui devait décider de son avenir.

Intelligence aussi variée que souple, et riche d'une culture profonde, Rosny adolescent sut rapidement s'adapter à l'esprit du Grenier, tout en gardant intacte une originalité qui devait bientôt s'épanouir au point d'étonner le Maître lui-même.

Il suffit de relire quelques-uns des chapitres du fameux Journal pour voir combien Goncourt appréciait ce débutant qui tranchait déjà sur la grisaille du naturalisme à son déclin. De ses antennes fines et nerveuses, l'hôte d'Auteuil avait vite pressenti le talent magnifique du nouveau venu, dont il aimait et recherchait la conversation.

Il s'intéressait à la gestation de Vamireh et s'il s'effarait un peu de l'inconnu préhistorique d'un tel sujet ; il comprenait cependant la portée de la tentative susceptible d'ouvrir au roman de nouveaux débouchés. Et le 5 novembre 1887, après quelques mois de fréquentation, il faisait J.-H. Rosny aîné, riche seulement de Nell Horn, et du Bilatéral, l'un des membres de son futur aréopage.

A cette époque, l'ombre de Zola s'allongeait, gigantesque, sur les œuvres et les hommes. Durant un court moment, Rosny s'arrêta devant les théories de Médan. Elles paraissaient simples et concrètes. Elles sollicitaient sa passion de la science, son ardent besoin d'exactitude mathématique.

Il en eut bientôt fait le tour : sous leur formule étroite il ne trouva que verbiage et indigence. On connaît le manifeste retentissant où il trancha, d'un coup sec le mince film qui l'avait un instant rattaché à la vieille barque des Rougon-Maquart.

Un contact prolongé avec la gens des Goncourt fut plus profitable à ses goûts d'errant et de curieux. On venait alors de découvrir ce pays inexploré qui commence après les fortifications : la banlieue parisienne. Huysmans, Coppée, Daudet, Robert Caze, et tous les artisans de la plume et du pinceau, étudiaient avec enthousiasme la campagne lépreuse où s'épanouissent les cabanes des ferrailleurs et des chiffonniers.

En peinture, l'impressionnisme, ce « symptôme psychologique », selon le mot de M. Camille Mauclair, triomphait avec Raffaëlli, l'admirable coloriste des ciels d'Asnières et de Gennevilliers. En poésie, Jean Ajalbert s'essayait aux vers de Sur le vif et de Femmes et paysages. J.-H. Rosny, que ses randonnées de jeunesse à Londres avaient préparé à goûter le charme du Paris suburbain, reçut de l'école moderniste un stimulant précieux.

Il s'attacha dès lors passionnément à ce qu'il appelle dans le Testament volé « ce beau pays d'eaux-fortes et de gravures sur bois ». A son œuvre naissante il annexa les horizons de la banlieue. Il s'assimilait des images et des sensations dont la grâce équivoque et comme frelatée avait, pour les artistes du temps, un irrésistible attrait. Sa première manière, toute de vastes ciels et de coulées lumineuses à la Turner, glissa vers un art plus précis, plus concret, dont on peut suivre de près quelques aspects dans Le Termite, les Rafales, Dans les Rues, Et l'amour ensuite, Marthe Baraquin.

En même temps, son style prenait la marque particulière, la patine qui l'a rendu si personnel. Les néologismes les plus hardis y deviennent tout à coup jeunes et familiers ; le débit de la phrase se ralentit ou se précipite. La Flûte de Pan, Nomaï, Les Femmes de Setnê sont les fruits caractéristiques de cette évolution.

De l'âge héroïque où Rosny, peu à peu, faisait craquer l'armature trop étroite qui retardait son éclosion, il est demeuré quelques témoignages dont l'intérêt rétrospectif ne saurait nous échapper : l'Immolation et le Bilatéral.

Le premier a concilié, avec une belle aisance, les thèmes du naturalisme et les procédés de l'impressionnisme. Plutôt qu'à l'étude soutenue d'un caractère, ce court roman se ramène à une série de tableaux colorés, d'un réalisme cru, à la manière habituelle de Zola. C'est, d'autre part, un sujet emprunté à la vie paysanne, qui apparaît ici avec les attitudes un peu conventionnelles, en usage aux environs de 1890.

Mais la grande curiosité de ce livre réside dans son adaptation au langage d'Auteuil. L'écriture artiste, nerveuse, dépouillée, y crée une atmosphère déjà sentie. Seul, le grand amour de l'auteur pour les nuages, les eaux, les féeries étincelantes de l'aurore ou du crépuscule, s'épanouit sans contrainte et marque l'Immolation de son sceau.

Avec le Bilatéral, le romancier a voulu intégrer dans l’œuvre d'imagination le dialecte scientifique. Massive, puissante et tourmentée, cette peinture de mœurs révolutionnaires a montré à l'auteur son chemin de Damas. Ses premiers essais d'un vocabulaire neuf l'ont conduit à une phraséologie un peu confuse et heurtée, mais riche d'avenir et décelant en germe les beautés de la Guerre du Feu ou d'Amour étrusque.

Par les recettes qu'il apportait, sous une forme un peu poussée, à la jeune littérature, le Bilatéral demeure comme un document de tout premier ordre. Considéré dans ses détails, avec les excroissances qui envahissent quelques-unes de ses pages, il donne l'impression confuse d'un livre engendré durant une crise de croissance. Il apparaît un peu comme un monstre — un beau monstre.

On pourrait porter un jugement analogue sur La Légende sceptique, annoncée « pour paraître prochainement », en 1888 et 1889, et qui n'a jamais vu le jour des librairies. La Légende sceptique nous révèle la pensée intime de Rosny à son entrée dans la carrière des lettres. N'ayant encore rien publié, n'écrivant pas, par conséquent, pour des lecteurs dont il ne pouvait prévoir les réactions, notant simplement ses rêveries au gré de la plume, J.-H. Rosny aîné a rassemblé ces feuillets inestimables qui sont, pour la connaissance de sa psychologie propre. ce qu'est Ignitur à Mallarmé ou Une Saison en enfer à Rimbaud.

Il ne faut pas les tenir pour un essai méticuleusement ordonné, avec des prodromes, un développement et une conclusion, mais pour des songes sans fin, des vagabondages autour de l'éternel problème des origines. Tout le Rosny savant et philosophe du Pluralisme, le ratiocineur sagace de la Vague rouge, le causeur délicieux que ses familiers connaissent, sont en puissance dans l'hermétique et mystique Légende sceptique.

Sans doute, ces premières production du romancier ne se rangent pas encore parmi ses chefs-d’œuvre, mais elles les annoncent et les préparent. Leur étude et indispensable à quiconque veut pénétrer dans l'intelligence du maître, en comprendre les manifestations complexes. Si, de nos jour, la science a cessé d'être l'apanage exclusif des spécialistes en devenant pour les lettrés et les artistes un fécond objet de méditation.

Rosny n'est-il pas pour une grande part dans cette extension des curiosités humaines ? Ce n'est pas la moindre qualité du précurseur génial de l'Aube du Futur que sa hardiesse dans le mélange des genres, prélude à la grande fusion intellectuelle contemporaine qui renouvelle, après des millénaires, le miracle grec.

Cette utilisation de la science à des fins littéraires, il l'a tentée à une époque ou les règles étaient toutes-puissantes qui commandaient à l'architecture du livre, où, le goût du public, insuffisamment éduqué, vouait à des échecs retentissants les essais d'esthétique nouvelle. Il l'a tenté surtout, ne l'oublions pas, avec un souci constant de beauté morale et de vérité. Il l'a réussie au delà de ce que pouvaient prévoir Taine et Renan.

L'Académie Goncourt ne pouvait choisir personne qui la pût mieux représenter que cet homme aux initiatives fécondes, ce prestigieux écrivain qui n'a jamais séparé le talent de la probité.

Pierre MASSÉ

Pierre Massé "Le nouveau Président de l'Académie Goncourt" in Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques du 8 mai 1926.

Pierre Massé "Le nouveau Président de l'Académie Goncourt" in Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques du 8 mai 1926.

Pierre Massé "Le nouveau Président de l'Académie Goncourt" in Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques du 8 mai 1926.

Pierre Massé "Le nouveau Président de l'Académie Goncourt" in Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques du 8 mai 1926.

Commenter cet article