Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
J.-H. Rosny

Jean Gaument et Camille Cé "Une Visite Littéraire : Chez Rosny aîné" (1929)

29 Janvier 2014, 15:14pm

Publié par Fabrice Mundzik

"Une Visite Littéraire : Chez Rosny aîné", de Jean Gaument et Camille Cé, fut publié dans La Gazette de Paris n°23 du 20 avril 1929.

Une Visite Littéraire :
Chez Rosny aîné

J'ai rendu visite au maître courageux, père de cinquante enfants, tous bien portants, dont plusieurs comme Marthe Baraquin, les Rafales, la Guerre du feu, Vamireh lui survivront et ne doivent pas périr.

Il vient à moi dans sa robe de bure, comme un bénédictin des lettres, très simple, mais non humble ; droit, nullement courbé par les ans, pas si différent de l'homme qui nous tendit la main, il y a bientôt quinze ans, et qui, lors des Chandelles éteintes, nous donna son cordial encouragement. Toujours son nez d'aigle, ses yeux asiatiques embusqués sous une broussaille mouvante. Il a saisi les réalités et les rêves dans ses griffes, fouillé les êtres de son regard perçant.

Je parle de ses vieux amis, des frères Leblond, de ceux dont il sait depuis longtemps l'effort, de nous, d'autres. Sa pensée vagabonde. L'Académie Goncourt ne fait pas ce qu'elle voudrait, liée par la volonté du testateur. L'Académie, la Société des gens de lettres qui sont riches, pourrait faire mieux que de distribuer des prix, de petits prix de consolation : mettre un peu plus de justice dans le royaume des lettres ; distinguer chez ceux qui se consacrent à la littérature, les forces des bonnes volontés. Les bonnes volontés ne sont ni à encourager, ni a décourager.

Nous parlons de la grande pitié du sort de ceux qui ont chez nous, honoré les arts, les lettres et les sciences. En France, toujours la vieille histoire : protestation de ferveur pour les choses de l'esprit ; abandon ingrat de ceux qui ont voué leur vie.

Chez le vieux maître, il n'y a pas de plainte à la Chatterton, ni même d'amertume. Il constate misère, des Balzac, des Baudelaire, des Verlaine. On a vu l'aventure de J. Copeau, obligé de fermer boutique en sombrant en plein succès, au milieu de l'admiration universelle, parce que l'admiration n'a pas déclenché le geste qui sauve.

C'est moi qui deviens amer : une vieillesse fière, à l'abri des soucis, de cette condamnation féroce aux travaux forcés à perpétuité.

Le vieux Maître sourit : « L'assurance de pouvoir manger. Une œuvre de la bouchée de pain pour ceux qui ont vécu de l'esprit. »

Il y a parmi eux de vrais enfants ; il faudrait les surveiller.

Jean Gaument et Camille Cé
(La Vie)

Jean Gaument et Camille Cé "Une Visite Littéraire : Chez Rosny aîné" in La Gazette de Paris n°23 du 20 avril 1929

Jean Gaument et Camille Cé "Une Visite Littéraire : Chez Rosny aîné" in La Gazette de Paris n°23 du 20 avril 1929

Commenter cet article