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J.-H. Rosny

Léon Hudelle "Propos d'un Campagnard : Le mépris d'Enacryos" (1911)

8 Décembre 2013, 12:00pm

Publié par Fabrice Mundzik

Réponse de Léon Hudelle à un article publié par J.-H. Rosny aîné, sous le pseudonyme Enacryos, dans la Dépêche de Toulouse : "Propos d'un Campagnard : Le mépris d'Enacryos". Article publié dans Le Midi socialiste n°931 du 20 juillet 1911 :

« Lorsque j'entends un homme bien portant réclamer le repos complet à 50, à 55, à 60 ans, même je n'éprouve qu'un sentiment d'impatience et de mépris ».

Ainsi dans la Dépêche, Enacryos exprime son opinion hostile aux retraites ouvrières, avec un si tranquille dilettantisme qu'il donne envie, comme les comédies de Molière, d'en pleurer après en avoir souri.

Mais ce monsieur que l'on dit être artiste, et qui avoue fièrement cinquante-cinq ans, trime-t-il par hasard depuis son adolescence dans une verrerie ou dans quelque mine ? Serait-il depuis son jeune âge enfermé dans les poussière d'un magasin ou exposé à recevoir la pluie sur son dos courbé tout un jour sur la pioche ? Hélas ! Enacryos n'a pas cet heureux privilège :

Lorsqu'il fait froid, cet infortuné se chauffe et lorsqu'il fait trop chaud il demeure à l'ombre. Il travaille bien sans doute ; et même — je le dis sans ironie — il exécute du bon et du beau travail ; mais il travaille quand il veut et lorsqu'il se sent disposé à l'effort.

C'est pourquoi M. Enacryos se porte bien, ne se sent pas fatigué et n'admet pas que les autres demandent à son âge, un repos que lui même a pris toute sa vie aux heures qui lui convenaient.

Eh oui, sans doute, il existe des gens, qui arrivés à l'âge d'Enacryos sont aussi bien portant que lui. Mais c'est qu'ils ont pu comme lui se soigner toute leur vie.

Et supposons — hypothèse vraisemblable du reste — qu'il existe ) cinquante-cinq ans des travailleurs encore vigoureux et sains. Qui donc, en dehors d'Enacryos, les méprisera s'ils veulent s'offrir le luxe qu'Enacryos s'est offert depuis sa naissance, de travailler lorsqu'ils en sentiront le besoin et de se reposer dès qu'ils sentiront la fatigue ?

Car les retraites ne visent pas à autre chose. Je comprendrais la colère d'Enacryos, si les retraités se trouvaient, aussitôt que petits rentiers, légalement obligés à l'absolu repos. Mais cette obligation ne leur est pas imposée.

On ne prétend pas ordonner aux quinquagénaires de déserter le travail et de bailler en foule aux corneilles, ou de s'entasser dans de néfastes cabarets. On prétend, plus simplement, leur permettre de se reposer. Permission qu'ils n'ont encore jamais eue, et qu'ils n'auraient pas encore jusqu'à leur mort si la retraite ne la leur fournissait pas.

Et dès lors de quoi donc Enacryos se plaindrait-il ? Puisqu'aussi bien il reconnaît que l'oisiveté complète pèse d'un poids insupportable aux natures saines ; il n'a plus que de motifs de joie.

Car les vieux travailleurs, trop longtemps frustrés de la vie de l'esprit, chercheront désormais dans la littérature une distraction à leur fatigues corporelles. Ce luxe leur était interdit jusqu'ici.

Et peut-être à la suite de nombreuses lectures, le goût de l'art se raffinera-t-il dans les esprits vulgaires, et les travaux délicats d'Enacryos lui-même, appréciés à leur juste valeur, auront-ils autant d'éditions que le « Maître des Forges » ou « Les Demi-Vierges » procurant ainsi à l'écrivain de la Dépêche toute la fortune de M. Prévost et la popularité de M. Ohnet.

Peut-être alors, jugera-t-il bon de donner la retraite à quarante ans.

Léon Hudelle

Léon Hudelle "Propos d'un Campagnard : Le mépris d'Enacryos" in Le Midi socialiste n°931 du 20 juillet 1911

Léon Hudelle "Propos d'un Campagnard : Le mépris d'Enacryos" in Le Midi socialiste n°931 du 20 juillet 1911

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