J.-H. Rosny aîné "Les Xipéhuz" in Les Belles Lectures (1951)
Voici un nouveau document transmis par Gilles Barillier, que nous remercions à nouveau, via le forum LittPop : il s'agit du bimensuel de littérature classique et contemporaine, Les Belles Lectures n°192 du 1er au 14 novembre 1951, qui propose "Les Xipéhuz" par J.-H. Rosny.
Malgré l'erreur d'attribution de ce texte dans le titre, la photographie qui l'accompagne présente le bon auteur : "Portrait de J.-H. Rosny aîné (mort en 1940) l'un des deux écrivains qui signèrent à leurs débuts sous le pseudonyme de J.-H. Rosny. C'est lui qui s'attacha le plus spécialement à la reconstitution de l'époque préhistorique."
"Les Xipéhuz" est précédé d'une introduction de Vincent Muselli (dont je n'ai modifié ni les tournures alambiquées, ni l'orthographe) :
La littérature française aura connu, à la fin du XIXe siècle, les associations fraternelles et ce que l'on pourrait nommer, très exactement les tandems fraternels.
C'est ainsi qu'il y eut le tandem Goncourt (Edmond et Jules) dont l'académie, qu'ils eurent le bon esprit de fonder à leur nom, prolonge une gloire que leurs romans ne soutiendraient plus. Il y eut ainsi le tandem Margueritte (Paul et Victor). Il y eut le tandem Tharaud (Jean et Jérôme). Il y eut aussi — et pourquoi pas ? — le tandem Fischer (Max et Alex).
Tout cela donnera plus tard à quelques sociologues, ingénieux et ingénus et plus ingénus qu'ingénieux, l'occasion de longues dissertations sur le sentiment de la famille à cette époque, et celle aussi, à quelques critiques, de savantes et inutiles recherches sur la part de chacun des deux frères dans la « production » commune.
C'est ainsi qu'il y eut également le tandem Rosny (J. H.) de leur vrai nom Joseph-Henri-Honoré et Justin-François Boex. Ils étaient nés à Bruxelles l'un en 1856, l'autre en 1859 et cette origine étrangère leur valut de la part de quelques xénophobes de nombreuses attaques, les unes perfides, les autres qu'on croyait plaisantes. Ils furent même, ce qui est peut-être une manière de gloire, moqués dans des revues et un chansonnier, avec cette finesse qui caractérisait le boulevard, s'étonnait qu'ils fussent belges alors qu'il les avait cru des maca...rosny !
On les confondait souvent avec Léon-Louis Rosny, savant orientaliste, qui devint professeur de japonais à l'école des langues orientales. Leurs travaux étaient fort différents ; cependant les Xipéhuz, roman des débuts de l'humanité, parut au moment où la préhistoire commençait de devenir à la mode. Les débuts de l'humanité, la préhistoire, la philologie et la philosophie de l'ancienne Asie, le public n'y regardait pas d'assez près pour y voir de grandes différences ; le public et quelquefois pas davantage les libraires... bibliophiles dont les catalogues annonçaient les ouvrages des homonymes dans le plus absurde mélange.
Les Rosny (J.-H.) publièrent d'abord Neil Horn [sic] en 1886. Ils donnèrent ensuite Les Xipéhuz (1887), Le Bilatéral (1887), L'Immolation (1887), Mac Fane, Les Corneilles (1888), Le Termite (1890), Daniel Valgraive (1891), Vamireh, L'Impérieuse bonté (1894), l'Indomptée (1895), etc., etc. Depuis, ils écrivirent, l'un sous le nom de J.-H. Rosny aîné ; la Guerre du feu (1911), le Félin géant, l'Horloger du fleuve bleu [sic], les Compagnons de l'Univers, etc. ; l'autre sous le nom de J.-H. Rosny jeune : Sépulcres blanchis, etc.
Parmi tous les romans de J.-H. Rosny, ceux qui firent leur notoriété et qui sont assurément leurs meilleurs, appartiennent à ce genre qu'on a nommé tour à tour, roman d'aventures extraordinaires, roman scientifique, roman d'anticipation bien que quelquefois l'action dudit roman se passât au début de l'histoire humaine et même avant, mais l'usage eût difficilement accepté le terme de postcipation ; enfin et peut-être sera-ce là la meilleure définition, romans où s'illustrèrent Jules Verne, H. Wells, Maurice Renard, Han Ryner, Gustave Lerouge, etc. Et c'est à dessein que je ne parle pas du « voyage aux régions de la Lune et du Soleil » qui sont l'œuvre exotérique d'un initié.
Si certains s'aventurent à travers les rondes, passent les planètes et les étoiles, si d'autres explorent le centre de la terre et y découvrent des « civilisations » préhistoriques et toujours vivantes, si d'autres enfin pénètrent dans les sociétés animales et descendent même chez les microbes, les Rosny se contentent de la Terre, de la terre humaine, de son origine jusqu'à sa mort.
Voltaire soutenait que les Français n'avaient pas la tête épique et joignant, comme on dit, le précepte à l'exemple, il composait la Henriade. Mais peut-être l'épopée n'est-elle pas nécessairement le poème divisé en un certain nombre de chants et imité d'Homère ou de Virgile. La force et la sensibilité exactement épiques peuvent aussi se trouver ailleurs. Ceux qui la trouvèrent dans quelques œuvres de Zola comme la Débâcle ou l'Assommoir n'eurent pas tort et point davantage ceux qui la trouvèrent dans la Guerre des Mondes, de Wells. Cette force et cette sensibilité, cette vertu spécifiquement épique, on peut la trouver et mieux encore dans les romans de Rosny, si l'on accepte la définition classique de l’épopée : « un récit d'aventures héroïques accompagnées de merveilleux ».
L'action des Xipéhuz « se passe », nous dit l'auteur, « mille ans avant le massement civilisateur d'où surgirent plus tard : Ninive, Babylone, Ecbatane ». L'auteur nous dit qu'il se réfère au « grand livre anticunéiforme de soixante grandes belles tables, le plus beau livre lapidaire que les âges nomades aient légué aux races modernes » et il le fait avec une telle habileté, que le lecteur en arrive à se demander s'il se trouve dans le domaine du fictif ou du réel.
C'est le récit vraiment épique — nous le répétons — de la lutte de la tribu des Hommes contre leurs plus terribles ennemis, puis de la défaite et de l'extermination de ces derniers.
Mais tout au long de ce récit et sans que ce ralentisse en quoi que ce soit son action, la grande idée morale des auteurs apparaît à tout moment : c'est la sorte de malédiction qui est sur l'Homme et sur l'Univers : « la nécessité de la guerre ».
Après la ruine définitive des Xipéhuz, Bakhoûn. le chef des hommes, avoue qu'il regrette ceux dont il a triomphé. Il aperçoit, non pas la « tristesse d'un victoire » comme le disait, il n'y a guère, un politicien déçu, mais la tristesse essentielle à toute victoire, cette honte que doit ressentir tout guerrier victorieux s'il a quelque noblesse : celle que ressentit Hector lorsqu'il prit conscience de cette horrible nécessité de vaincre ou de disparaître, et surtout du pacte atroce du meurtre et de la vie, qui paraît, scellé à jamais, sa pensée, s'élève et ses réflexions semblent un lointain écho des grandes méditations qui, autrefois, en Asie, menèrent le Sublime aux voies nirvaniennes de la Délivrance.
Vincent MUSELLI.
Commenter cet article